Le siège de Gaza par l’État israélien suscite une polarisation croissante à l’EPFL. L’administration reste droit dans ses bottes en continuant d’honorer ses partenariats dans l’état d’apartheid et en refusant de revoir sa position. En réponse à ce refus de reconnaître le génocide en cours, les étudiant·xes se mobilisent. Iels répondent présent·xes aux manifestations, exprimment leur solidarité au peuple palestinien par des stickers sur les murs, de nombreux messages sur les réseaux sociaux de l’école, des discussions et des formations. Les keffiyehs, signe de soutien, sont de plus en plus visible autour du cou des étudiant·xes. Ces derniers mois, les esprits s’aiguisent. En février nous avions déjà couvert les liens entre notre institution et un fabricant d’armes pour l’État d’Israël. Alors que précédemment, beaucoup se complaisaient dans l’incompréhension du contexte colonial de “la situation au proche-orient”, rares sont maintenant celleux qui ne réclament pas la fin du génocide en cours. Face à l’horreur des images diffusées en direct sur les réseaux sociaux, les discours occidentaux présents dans les médias en continu et la presse romande semblent impuissants. La prise de conscience que la population palestinienne vit sous un régime d’apartheid et que le conflit ne date pas d’hier mais remonte au moins à la Nakba* de 1948 est devenue commune y compris au sein de la communauté étudiante. Pourtant, un discours de soutien à l’État israélien persiste. Moins fréquent, il instrumentalise l’attaque du Hamas du 7 octobre pour réduire au silence les voix qui s’élèvent en solidarité avec un peuple en deuil.
Nombreu·xses sont celleux qui ont vu apparaître de nouveaux stickers sur le campus : ceux-ci sont venus recouvrir les messages souhaitant voir la Palestine libre ou demandant un cessez-le-feu. En reprenant le logo de RUN DMC, déjà maintes fois modifié dans le monde entier contre différents partis d’extrême droite, ceux-ci viennent cette fois s’opposer aux messages de compassion au peuple palestinien en slogan « FCK HMS » (fuck hamas). A la solidarité naturellement exprimée envers les plus de 30’000 palestinien·xnes assassiné·xes par Israël à Gaza, une critique du Hamas est répondue au travers de ces stickers. Qu’est-ce que ces étudiant·xes ont en tête? Analyse
Instrumentalisation des attaques du 7 octobre :
Les partisan·xtes du Hamas n’existent pas sur le campus. Il n’y a pas de prise de position d’associations, pas de tractage, pas de stickers, pas de messages sur les chats allant dans ce sens. C’est une réalité qu’on ne saurait nier. Ce qui existe, c’est un soutien grandissant à une population victime d’un génocide. En arrachant ces stickers et en recouvrant ces messages, c’est une stratégie de délégitimation du soutien à la Palestine théorisée il y a plusieurs décennies qui est mise à l’œuvre. On oppose les attaques du 7 octobre à tout message d’émancipation du peuple Palestinien. On remplace “Free Palestine” et “Ceasefire now” par “FCK HMS”. On substitue “Free Gaza” par “Free the hostages”. Pas de paix possible, c’est l’appel à la vengeance qui prime et qui vise toute une population civile, dont même les enfants sont qualifié·xes de “terroristes”.
Évidemment qu’une libération des otages encore détenus à Gaza est à souhaiter, mais l’opposer à un appel à mettre fin au génocide en cours et à l’occupation armée des territoires palestiniens n’est que la preuve que ce discours est un soutien caché de la guerre sans relâche que mène Netanyahu. Puisqu’il n’est pas question de produire de la propagande soutenant ouvertement Israël, car elle irait trop à l’encontre de l’opinion publique, iels ont recours à des outils d’instrumentalisation produits en masse.
Matériel de propagande – Des stickers produits à cette fin :
À l’origine de ces stickers, un site en ligne basé à Tel-Aviv de vente de merchandising, avec comme promesse de donner les profits aux familles des victimes des attaques du 7 octobre et aux colonies israéliennes sur les territoires occupés qui ont été affectés. Les autocollants sont promus sur les réseaux sociaux avec des exemples d’usages: sur les poteaux électriques, mais aussi pour recouvrir des autocollants pour la libération de la Palestine, ou de manière assez commune sur les armes et uniformes de soldats de l’armée israélienne: l’armée de Tsahal.
Instagram FCK HMS
Une stratégie de longue date :
Le « Hasbara Handbook : Promoting Israel on Campus » est un outil de propagande visant à donner les outils pour soutenir le régime Israélien là où ce régime d’apartheid ne fait pas l’unanimité. La publication que nous avons obtenue, datant de 2002 et sponsorisée par le département de l’éducation Israélienne, a pour but de permettre de défendre le régime en « influençant l’opinion […], les dirigeant actuels […] et dirigeants et formateurs d’opinion de l’avenir » [page 3], notamment sur les campus universitaires du monde entier.
On peut par exemple y lire :
Étant donné que les idées politiques se forment et s’affinent souvent à l’université, il est important, pour la sécurité à long terme d’Israël, d’essayer d’influencer les leaders étudiant·xes et les journalistes pour qu’ils comprennent Israël et lui soient favorables.
Hasbara Handbook, page 3, traduite en français
Répondant ainsi à la question de la motivation de combattre toute revendications pour l’autodétermination du peuple Palestinien même à 3000km de Tel-Aviv.
Dedans, on retrouve de nombreuses techniques utilisées aujourd’hui sur le campus lausannois. Parfois prônant le débat avec des arguments tout préparés (page 77 à 119), parfois jugeant même préférable d’éviter la discussion de fond :
Le pointage est une méthode de communication qui donne la priorité à la présentation de certains points favorables à l’orateur·xice et attaque les opposant·xes en essayant de discréditer leurs positions. La communication par points doit donner l’apparence d’un débat rationnel, tout en évitant une véritable discussion. L’objectif de l’activiste israélien·xne qui marque des points est d’essayer de faire autant de commentaires positifs que possible sur Israël, tout en attaquant certaines positions palestiniennes et en essayant de cultiver une apparence de dignité. Le comptage des points fonctionne parce que la plupart des spectateur·xices n’analysent pas ce qu’ils entendent. Iels ne retiennent que quelques points essentiels et se font une vague impression de la force de “l’argument” de l’un ou de l’autre.
Hasbara Handbook, page 8, traduite en français
Mais proposant aussi de nombreuses autres techniques tel que nourrir les étudiant.es pour gagner leur confiance :
Il est beaucoup plus facile de servir des falafels à des étudiant·xes lors d’une fête que d’expliquer pourquoi le sionisme n’est pas du racisme à un étudiant·xe qui ne sait même pas ce qu’est l’autodétermination nationale.
Hasbara Handbook, page 6, traduite en français
Ce document nous permet aussi de faire la lumière sur les techniques déployées sur le campus. L’instrumentalisation du sort des victimes est ainsi la première activité proposée par le manuel†, allant même jusqu’à théoriser l’effet de cette instrumentalisation sur les passant·xes:
[…] Quelle meilleure façon de parler des victimes de la terreur que de raconter une histoire à leur sujet ? Plus que de raconter l’histoire d’un·e enfant hospitalisé qui ne marchera peut-être plus jamais, il est plus puissant de raconter sa propre visite à l’hôpital et la tristesse qu’il y a ressentie. À tort ou à raison, cela incite le public à se mettre à l’écoute, à écouter et à prendre note. Il est beaucoup plus facile d’écouter une histoire, surtout si elle est chargée d’émotion, que d’écouter des concepts abstraits. Les histoires permettent de faire passer des messages forts et d’attirer l’attention de l’auditoire. (Pensez-y : le discours “I Have a Dream” de Martin Luther King Jr. aurait-il été aussi percutant s’il avait dit “beaucoup de gens réclament à juste titre” ?)
Hasbara Handbook, page 49, traduite en français
Cette technique rappelle les portraits d’otages, ceux-ci ont par exemple été anonymement affichés dans les couloirs du bâtiment CE de l’EPFL:
EPFL, Bâtiment CE
La mobilisation continue
Il en va maintenant du devoir de chaque étudiant·ex pour que l’EPFL reste un terrain propalestinien, en revendiquant encore et toujours : (1) le droit au retour pour tous les réfugié·xes; (2) la fin de la colonisation, de l’occupation, du blocus de Gaza et le démantèlement du Mur; (3) la fin de l’apartheid pour les Palestinien·xnes tel que revendiqué depuis des décennies.
Pour faire vivre ces revendications et se rendre compte de la place qu’ont les universités dans cette guerre coloniale, le mouvement BDS (Boycott, Divestment and Sanctions) a produit des campagnes dans de nombreuses villes et campus visant à mettre fin à la coopération qui profite à l’état Israélien. Au tour des étudiant·xes de s’approprier ces revendications et de les faire vivre dans nos institutions qui continuent leur collaboration.
Enfin, il est nécessaire de nous former à la théorie décoloniale pour comprendre cette forme d’impérialisme et déjouer les rhétoriques sionistes déployées de toute force sur le campus ainsi que de continuer à aller chercher à convaincre les “sans-opinion” de l’importance de ne pas rester muet·xte dans une telle injustice, car une position de neutralité est une position de complicité.
- *Hasbara Handbook, page 7
