Catégories
Billet Campus Palestine

L’EPFL censure un film palestinien… sur la censure

Message du comité de rédaction: L’EPFL ayant fait valoir leur droit de réponse, vous trouverez la position de l’institution en fin d’article. Nous ne sommes légalement pas en mesure de le commenter malgré des éléments potentiellement pas factuels.

Sur le campus, on ne parle pas de la Palestine. Telle est la décision de l’administration qui décide de censurer un événement du Canard Huppé.

Cette fin de semaine, le comité de rédaction du journal a reçu un mail indiquant que la projection du documentaire primé, “The Truth, Lost at Sea”, préalablement validée par le service événement de l’École et par la police du commerce, ne devait pas avoir lieu. Ironiquement, le film du journaliste et défenseur des droits humains, Rifat Audeh, traite de la disparité du traitement médiatique des événements relatifs à l’attaque israélienne de la Freedom Flotilla, ayant eu lieu en 2010, de la censure et de la désinformation autour de cette crise internationale.

Un documentaire de terrain qui permettait d’analyser le discours médiatique

Le documentaire met en contraste des images des événements, narrées par un survivant de l’opération humanitaire ayant vu dix personnes tuées par l’armée israélienne, avec la vision médiatique occidentale, illustrant la distance considérable entre ce qui se passe sur le terrain et ce qui est présenté sur les chaînes d’info. Il est donc question de censure, de liberté d’expression, et de lutte contre la désinformation. Les images du documentaire sont rares, la majorité ayant été supprimée par les forces israéliennes au cours de l’attaque. Seule l’ingéniosité de certain·xes passager·xères, qui ont caché les enregistrements, permettent à ces images d’exister aujourd’hui. L’École décide aujourd’hui d’appliquer le même traitement que l’État d’apartheid en censurant les images du documentaire.

L’événement, organisé conjointement avec le festival de film “Palestine, Filmer C’est Exister”, avait pour but d’équiper les étudiant·xes de moyens d’analyser les discours dans tous types de médias. Une projection du documentaire “MédiaCrash” dans cet esprit avait déjà eu lieu en 2022  en collaboration avec le journal romand Le Courrier. Cette affaire montre que le simple fait qu’une voix palestinienne exprime une analyse critique est inaudible par l’institution et que la crainte « d’aviver les tensions » rend tolérable la réduction d’une population opprimée au silence

“Nous déplorons les tensions qui naissent sur le campus et estimons que tout événement qui pourrait aviver ces tensions n’est pas le bienvenu.”

Associate Vice President for Student Affairs and Outreach

Deux poids, deux mesures quand on sait que l’association des ukraininien·xnes à l’EPFL ne furent pas accusé d’aviver les tensions sur le campus le semestre dernier, lors de la projection du documentaire primé : “20 Days in Mariupol” réalisé par des journalistes ukraininien·xnes.

Promouvoir la paix, interdire le dialogue

Rifat Audeh, Canadien d’origine palestinienne, expert en désinformation et analyse des biais dans les médias est le réalisateur du film en question. L’EPFL se dit ouverte à l’organisation d’événements “bénéficiant d’un soutien académique reconnu sur la question”. Pourtant, un diplôme en journalisme délivré par la Newcastle University et une expertise sur le sujet ne semble pas être suffisant pour l’EPFL. Ce n’est cependant pas la première annulation d’événement.
Le semestre dernier, les associations Unipoly et Polyquity avaient déjà été victimes d’une décision similaire prise par la direction.​*​

La position de l’EPFL est claire. Elle refuse encore et toujours de modifier sa position unilatérale​†​ sur la guerre sans relâche menée par Israël, refuse même de faire référence à la Palestine, refuse d’exprimer des remords sur l’aide fournie par l’école à l’armée israélienne​‡​ et refuse la tenue d’événements qui parlent de près ou de loin de la Palestine ou qui sont sur des oeuvres palestinienne.

Faire l’autruche n’est pas une solution pour apaiser les tensions. Face à un génocide, on ne peut décemment pas choisir d’ignorer ce qui se passe en s’enfermant dans une bulle médiatique bien choisie. C’est refuser le dialogue, se fermer au monde pour n’embrasser plus qu’un seul point de vue, celui que les médias hégémonique ne cessent de nous resservir. Dans le cadre du génocide à Gaza, alors que les médias occidentaux ont largement adhéré au point de vue de l’envahisseur, il devrait être du devoir d’une institution comme l’EPFL de laisser les voix dissidentes s’exprimer. Il faudrait pouvoir parler, partager l’information, débattre.
Finalement, ce qui se dessine dans ce choix de censurer notre événement, ce n’est pas une volonté de ne pas faire de vague, mais bien une acceptation active des crimes contre l’humanité qui sont commis en Palestine. On laissera un peuple se faire exterminer, le discours majoritaire s’installer, on ne fera rien, on n’en parlera pas. Ce silence vaut comme assentiment.

Nous condamnons la position de cette institution complice et demandons la liberté d’organiser des événements permettant d’éduquer et de se former en permettant aussi aux discours non-dominants de s’exprimer tel qu’il devrait être possible dans une université.


Droit de réponse:

L’EPFL réfute avec fermeté l’interprétation que donne le Canard Huppé des raisons qui l’ont conduite à refuser l’organisation de la projection du film “Truth: Lost at Sea”.
Cette décision repose en tout premier lieu sur le manque total de transparence quant à l’objet de l’événement. Dans un premier temps, une salle a été réservée par le processus académique (c’està-dire sans motiver la réservation). Puis pour une “Projection d’un film d’analyse sur les médias”.
C’est seulement lorsqu’il s’est agi de diffuser des affiches que le titre du film et le fait qu’il s’inscrive dans la thématique israélo-palestinienne sont apparus.
Nous regrettons cette manière de faire.
L’EPFL se doit, pour garantir un climat serein sur le campus, de veiller à ce que les procédures d’approbation soient réalisées avec diligence et transparence. Elle doit disposer d’informations précises et cohérentes afin de pouvoir délivrer des autorisations de manifestations qui répondent
aux exigences de son Règlement sur les manifestations, dont l’article 1 précise:

L’EPFL peut appliquer son plein droit de refuser ou d’annuler un événement pour des motifs notamment académique, de sécurité ou de santé publique.
Toute manifestation incompatible avec la Charte de l’EPFL est refusée sur le site de l’EPFL, telles que les manifestations :

  • politiques à caractère partisan
  • à caractère religieux (excepté les activités de l’aumônerie)
  • organisées dans un but lucratif (y compris démarchage) et les jeux d’argent
  • privées (mariage, anniversaires, baptêmes, fêtes privées)
  • contraires aux mœurs, racistes ou discriminatoires.

En tant qu’institution universitaire, l’EPFL accueille volontiers toute manifestation qui serait de nature à enrichir le débat public, pour autant qu’elle respecte les règles, soit organisée dans une optique d’équilibre entre les positions, et qu’elle ne risque pas de générer des situations de tension entre diverses communautés d’étudiants ou de collaborateurs.
Dans le présent cas, le fait d’occulter le sujet réel du film – sans entrer dans le débat sur sa pertinence – pose problème aux équipes de l’EPFL chargées de travailler de concert avec les organisateurs pour trouver une façon de satisfaire leur souhait légitime de contribuer à la discussion
tout en garantissant le respect du règlement en vigueur et en évitant de créer des situations de tensions néfastes à la vie de la communauté.


Le Canard Huppé, Palestine, Filmer C’est Exister, UNIL Palestine et Association Unipoly


  1. ​*​
    https://journal.unipoly.ch/2024/03/04/the-threatening-of-academic-freedom-and-inclusion-during-the-gaza-genocide/
  2. ​†​
    https://www.epfl.ch/campus/community/current-initiatives/
  3. ​‡​
    https://www.blick.ch/fr/news/suisse/une-association-estudiantine-monte-au-front-lepfl-accusee-de-contribuer-au-genocide-en-cours-a-gaza-id19457743.html

Par Comité de rédaction du Canard Huppé

Le comité de rédaction du Canard Huppé gère et rédige régulièrement des articles dans le journal. Il édite une journal papier disponible sur le campus universitaire ainsi que le journal en ligne. Enfin il encadre le travail des étudiant·es qui souhaitent écrire dans notre journal afin de donner conseils et faciliter la tâche. Ce comité est complètement indépendant du comité de direction de l'association.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *