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EPFL, le mythe de la neutralité ou comment l’école a aidé Israël à développer des armes.

Message du comité de rédaction: L’EPFL ayant fait valoir leur droit de réponse, vous trouverez la position de l’institution en fin d’article.

Quelques jours après les attaques du 7 octobre, l’EPFL signe un communiqué​1​ sur la situation au “Moyen-Orient”. Un communiqué assez commun comme l’ont fait beaucoup d’autres institutions, il y arrive cependant sans mentionner une seule fois le mot “Palestine” ou “Palestinien·xnes”. Dedans, l’ecole prône la « compassion », « la désescalade », « les solutions pacifistes » et invite à l’organisation d’évènements « non-politique, non-religieux en faveur de la paix ».

Position ironique quand on sait que l’université est responsable d’avoir formé des ingénieur·xes de l’état israélien et que son soutien technologique a, par extension, probablement contribué au génocide en cours. 

Retour sur une affaire pourrie entre Israël et l’EPFL.

« Rafael Armament Development Authority», renommé « Rafael Advanced Defense Systems Ltd. », fut fondé en 1948 durant la Nakba par le gouvernement Israélien​2​. Ce laboratoire, devenu entreprise étatique, vise à développer les outils technologiques nécessaires à la suprématie militaire d’Israël. C’est d’ailleurs elle qui produit aujourd’hui encore de nombreux outils de l’armée Israélienne comme le fameux Iron Dome et de nombreux types de missiles.

Sonia Arnal, journaliste à l’Hebdo​3​ révèle en 2003, alors que Israel venait de hisser « le mur d’apartheid », séparant les habitant·xes de Cisjordanie de celleux d’Israël, l’existence d’une enquête pénale contre l’EPFL pour transferts illégaux de technologies. A l’origine c’est un contrat entre Rafael et un laboratoire de l’école (Laboratoire de Céramique, MX​*​) qui intrigue la justice. Alors de quoi s’agit-il ?

À cette période, Rafael souhaite acquérir les connaissances et le matériel nécessaires à l’usage de composants piézoélectriques​†​ dans leurs « produits ». L’EPFL leur propose alors une offre alléchante : faire venir des employé·xes d’Israël pour se former durant trois semaines à l’EPFL pour un coût de 70’000.- dollars.

Lancer Rafael dans l’ère du high-tech.

Dans le contrat que nous avons pu nous procurer, nous en apprenons plus sur le format de la formation en question. Nous nous y sommes interessés pour comprendre le domaine exact et surtout l’impact potentiel de ces formations :

  • Première semaine : Deux jours d’introduction sur les MEMS piézoélectrique et trois jours de formation sur les processus et les machines de microfabrication pour les piézoélectrique.
  • Seconde semaine : Cinq jours de formation en salle blanche sur la déposition de thin-film, de photolithography, de patterning, dicing, bonding et poling, ainsi que sur la caractérisation des piezoélectriques.
  • Troisième et dernière semaine : Vérification des connaissances acquises.

Nous avons d’ailleurs appris que durant la formation, l’EPFL ira même jusqu’à les aider à produire des composants en s’aidant de leurs propres plans. Il nous a cependant été impossible de retrouver quels composants d’armes ont été « Made in EPFL »…

En plus de cette formation pratique et théorique, l’EPFL envoie à Haïfa une machine de caractérisation de composants piézoélectrique (probablement pour caractériser des actuateurs selon nos informations), garanti 15 heures d’assistance par téléphone et leur fourni de la documentation technique.

Alors qu’est-ce que l’EPFL a permis à Rafael de développer ? La réponse est difficile à donner, on peut cependant jeter un coup d’œil aux différents brevets appartenant à l’entreprise pour y trouver des éléments de réponse.

Nous avons trouvé 3,242 brevets détenus par Rafael. Certains concernent des armes, d’autres des mécanismes de défense, et l’utilité de certaines pièces brevetées ne sont pas immédiatement claires. Cependant Rafael ne produit que du matériel de guerre. Tout ce qui est produit a donc pour but, in fine, d’être un composant d’arme.

26 de ces brevets mentionnent l’utilisation des composants piezoélectriques. C’est à dire que l’usage de ces composants est suffisamment importante pour être décrits dans ces brevets d’armes. 6 de ces brevets précèdent l’accord conclue avec l’EPFL, mais 20 y sont postérieurs… On y trouve un gyroscope, plusieurs plateformes montées d’actuateurs utile pour différentes applications nécessitant des mouvements à haute fréquence et faible amplitude, un projectile « moins » létal, un allumeur d’explosif, une arme à base de laser à haute puissance et bien d’autres.

6 DOF Plateforme pouvant être actionnée par des actuateurs piézoélectrique​4​

On pourrait difficilement dire “sans l’EPFL, telle ou telle arme n’existerait pas”. Ce qu’on peut néanmoins identifier c’est que les connaissances en interne du domaine piézoélectrique étaient sommaires à la vue du programme assez « basique » de la formation fournie par l’école, correspondant à des cours de troisième année de la section de Microtechnique de l’école. Mais le nombre grandissant de brevets déposés après cette affaire est un indice conséquent sur le fait que la formation ait représenté une base nécessaire au développement de nombreuses armes et composants d’armes donnant probablement un avantage stratégique de poids à l’armée de Tsahal.

L’importance du développement technologique de l’armée d’apartheid est aussi corroboré par le livre “The Weapon Wizard, How Israel Became A high-Tech Military Superpower”​5​, qui décrit notamment le rôle clé de Shimon Peres, fondateur de Rafael, devenu premier ministre puis président et admirateur de microtechnologie​6​. On apprend par ailleurs que c’est face au refus, à l’époque, des universités Israélienne d’aider les programmes d’armement gouvernementaux qu’il fera appel à des universités étrangère moins scrupuleuses pour aider à développer un arsenal high-tech.​5​ Il semblerait que l’EPFL ait répondu présente.

La faute à personne ? Si : au modèle d’université prôné.

Ce qui est particulièrement intéressant dans cette affaire, c’est la réponse du président de l’époque : Patrick Aebischer​‡​. Face aux journalistes, il relativise l’affaire… Finalement, n’est-ce pas ce qui est demandé de lui ? Augmenter les fonds tiers, incluant les sources d’argents du privé, est effectivement une demande de l’état. De plus, le transfert de technologie fait partie des missions de l’école.

Et quand on lui explique que quand même, c’est aberrant de former des fabricants d’armes d’un état d’apartheid, la question est abordée comme un coup de mal chance, qu’il s’agit plutôt de « revoir certains critères » et qu’il ne faudrait absolument pas y voir une « politique spécifique à l’institution ».

Alors que l’on pourrait souhaiter l’université comme un moteur d’amélioration du savoir collectif bénéfique à la société et comme une institution émancipatrice, sous le néolibéralisme l’éducation supérieure a plutôt pour but de produire la technologie et les cerveaux adaptés aux besoins du marché. On demande alors aux laboratoires de se financer de plus en plus via des contrats avec le privé, et de s’assurer que les technologies développées soient transférées dans le privé (là où elles seront vues comme le plus « utiles », quitte à être utilisées dans l’armement).

Dans une université néolibérale, on ne va nécessairement pas ou peu mettre d’importance à la question morale de l’usage de certaines technologies car le développement de celles-ci n’ont pas vocation à être bénéfiques à l’humanité mais simplement d’aider des entreprises et des états capitalistes à développer des nouveaux gadgets high-tech quelque soit leur usage.

Alors face cette réponse d’Aebischer qui dépolitise et décontextualise tout, il faut rappeler que c’est bien le contexte néolibéral sur lequel est bâti notre école, qui a permis à ce scandale de voir le jour, tout comme ça a été le cas pour ceux qui suivront entre l’EPFL et : Nestlé​7​, Merk​8​ ou encore l’agence européenne Frontex​9​, coupable de bien des horreurs en méditerranée.

Si l’EPFL a un rôle clé, il faut agir en conséquence.

A l’heure actuelle, l’école collabore encore à bien des égards avec le gouvernement et des entreprises israéliennes. Par exemple, durant son mandat de présidence de l’Etat israélien, Shimon Peres était venu en 2011 jusque sur le campus de l’EPFL pour y fêter la collaboration entre l’école et un centre de recherche israëlien.​10​ Il y a à peine deux ans, c’est à l’actuel président Isaac Herzog de venir signer des accord de collaboration scientifique avec la Suisse durant sa visite de commémoration des 125 ans du premier congrès sioniste ayant eu lieu à Bâle.​11​

Alors si l’EPFL se veut neutre, comment peut-elle justifier de continuer à signer des traitées avec le gouvernement israëlien alors même qu’à Gaza l’ensemble des universités ont été rasées​12​ ?

Pour mettre fin à cette neutralité de facade qui, bien que prônée, ne rentre pas en considération lors de soutien à un état d’apartheid, nous nous devons de revendiquer un boycott académique comme le demande la campagne BDS​13​ et PACBI​14​ depuis 2004. Et ce, dans nos institutions à la fois auprès de la direction mais aussi des facultés et des sections, des représentant·xes étudiant·xes, des associations de campus et enfin auprès de l’Agepoly​§​ dont, rappellons-le, le bureau n’a pas hésité à exprimer son soutien au Ukrainien·xnes en guerre mais refuse toujours aujourd’hui de se montrer solidaire malgré notamment la mort de centaines d’étudiant·xes universitaire et de 94 professeur·xes d’université à Gaza​15​.


Droit de Réponse:

Comme cela avait été communiqué par le service Médiacom de l’EPFL à l’un des membres de l’association Unipoly, l’EPFL confirme l’existence d’une collaboration passée entre un laboratoire de son institution et la
société Rafael Advance Systems Ltd dans le domaine des matériaux piézoélectriques. Ce contrat de collaboration remonte à plus de vingt ans, soit à 2002.

L’EPFL réfute en revanche tout lien entre cette collaboration scientifique et la dramatique situation actuelle à Gaza, en particulier l’hypothèse selon laquelle “son soutien technologique a, par extension, probablement contribué au génocide en cours “. De même, la visite à I’EPFL en 2011 du Président israélien d’alors, Shimon Perez, n’a aucun lien avec la situation actuelle à Gaza. Sa venue était liée à la signature d’un accord de collaboration en neurosciences entre le Edmond and Lilly Safra Center for Brain Sciences (ELSC) de I’Université publique de Jérusalem et I’EPFL.

L’EPFL rappelle par ailleurs que la science est, par essence, internationale et s’oppose à toute action de boycott académique. Elle condamne d’autre part fermement tout acte contraire au droit humanitaire international. Elle l’a rappelé dans les jours qui ont suivi le début de la crise actuelle qui touche la région. L’EPFL encourage par ailleurs sa communauté, et les associations qui en font partie comme UNIPOLY, à éviter l’escalade politique, à contribuer à apaiser la situation et promouvoir une solution pacifique. Elle l’a signalé à diverses associations et a proposé à plusieurs reprises l’organisation d’événements apolitiques en faveur de la paix.



  1. ​*​
    Science et génie des matériaux
  2. ​†​
    Compostants permetant notamment de créer un minuscule mouvements mécanique à partir d’électricité.
  3. ​‡​
    Président de l’EPFL entre 1999 et 2016.
  4. ​§​
    Association Générale des étudiant·xes de l’EPFL

  1. 1.
    EPFL | École polytechnique fédérale de Lausanne. Current initiatives. https://web.archive.org/web/20240206180257/https://www.epfl.ch/campus/community/current-initiatives/
  2. 2.
  3. 3.
    Arnal S. Enquête pénale autour de l’EPFL. L’Hebdo. Published online 2003. https://scriptorium.bcu-lausanne.ch/zoom/199966/view?page=57&p=separate&tool=info&view=0,0,2644,2460
  4. 4.
    Ben Horin R, Shoham M, Bamberger H. Mechanical structure providing six degrees of freedom. Published online November 2003. https://patents.google.com/patent/US7509886B2/en
  5. 5.
    Katz Y, Bohbot A. The Weapon Wizards: How Israel Became a High-Tech Military Superpower. St. Martin’s Publishing Group; 2017.
  6. 6.
    Siegel J. Res says Israel’s nanotech will “change the world.” The Jerusalem Post. Published online March 2009. https://www.jpost.com/health-and-sci-tech/internet-and-technology/peres-says-israels-nanotech-will-change-the-world
  7. 7.
  8. 8.
  9. 9.
    Jirát J. Schnüffelmaschinen für EU-Grenzen. Published online May . https://www.woz.ch/1515/frontex-und-die-schweiz/schnueffelmaschinen-fuer-eu-grenzen
  10. 10.
    Business S. Polytechnique Lausanne: Israel’s president launches $10 million agreement for brain research. Published online May 2011. https://web.archive.org/web/20240212170928/https://sciencebusiness.net/news/74940/Polytechnique-Lausanne%3A-Israel%27s-president-launches-%2410-million-agreement-for-brain-research
  11. 11.
  12. 12.
    Aljazeera. How Israel has destroyed Gaza’s schools and universities. Published online January 2024. https://web.archive.org/web/20240212171257/https://www.aljazeera.com/news/2024/1/24/how-israel-has-destroyed-gazas-schools-and-universities
  13. 13.
  14. 14.
    Campaign for the Academic P, Boycott of Israel C. Call for an Academic and Cultural Boycott of Israel. Published online July 2004. https://web.archive.org/web/20240212171427/https://bdsmovement.net/pacbi/pacbi-call
  15. 15.
    Monitor EM. Israel kills dozens of academics, destroys every university in the Gaza Strip. Published online Winter 2024. https://web.archive.org/web/20240212171513/https://reliefweb.int/report/occupied-palestinian-territory/israel-kills-dozens-academics-destroys-every-university-gaza-strip-enar

Banner : Image is licensed under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. From Zachi Evenor. Close up on the Trophy APS, Merkava Mk 4M with Windbreaker (Trophy APS), Israel 68th Independence Day, Ground Army Exhibition, Yad LaShiryon, Israel

Par Comité de rédaction du Canard Huppé

Le comité de rédaction du Canard Huppé gère et rédige régulièrement des articles dans le journal. Il édite une journal papier disponible sur le campus universitaire ainsi que le journal en ligne. Enfin il encadre le travail des étudiant·es qui souhaitent écrire dans notre journal afin de donner conseils et faciliter la tâche. Ce comité est complètement indépendant du comité de direction de l'association.

3 réponses sur « EPFL, le mythe de la neutralité ou comment l’école a aidé Israël à développer des armes. »

Franchement, le post insta, et les premiers paragraphes de l’article laissent à désirer. On sent un jugement qui porte à croire que le comité de rédaction en veut à l’EPFL d’avoir formé des Israéliens, ce qui aurait été très bizarre comme position.

Mais par la suite, lorsqu’on en vient aux faits, on comprend que l’EPFL a formé des ingénieurs travaillant pour Rafael spécifiquement. Ca, c’est en effet condamnable. En tant qu’étudiant, je suis très content du prestige de l’EPFL, mais est ce qu’il en vaut le développement d’armes de destruction de masse ?!

Merci du taf les gars, c’est très pertinent (mise à part le début).

Merci pour cet article et je salue au passage le comité directeur de l’EPFL pour leur non-censure et leur courte réponse qui en dit long…
Pourquoi pas activer le comité éthique et amender le détournement des technologies epfliennes par ces entreprises meurtrières. (L’epfl a besoin de fonds n’est-ce pas?)
Est-il réellement possible qu’ils aient signés des contrats sans clause de respect des droits de l’homme et de l’écologie ? Il y a de quoi faire travailler toute un équipe de juristes sur la question.

Merci pour cet article. Ça c’est de l’investigation! Hélas ça confirme ce que je pensais, soit que la Suisse dans ses organes principaux soutient Israël ce qui n’est pas un mal en soit, mais est condamnable au vu de la politique guerrière et coloniale de ce pays. On devrait suspendre toute aide tant que ce pays n’entre pas dans une reconnaissance des palestiniens.

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