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Lettre aux violeurs, aux témoins, aux ami·xes

TW : Ce texte décrit de manière explicite un viol.

J’ai écrit cette lettre à mon violeur ce printemps. Plus le temps passe plus je me rends compte que mon histoire est effrayante de banalité. Agresseurs, violeurs, votre responsabilité ne s’arrête pas à l‘acte que vous avez commis. Il est nécessaire de se poser collectivement la question de notre responsabilité dans ces violences. La culture du viol qui imprègne notre société, à laquelle s’ajoute la passivité des témoins, ont fourni un terrain propice à sa violence. Le manque de solidarité et d‘éducation a contribué à ma souffrance. Il est temps de mettre en place des solutions et la réparation qui nous est due.

Je ne sais pas comment adresser cette lettre, j’ai oublié ton nom et ton visage dans la semaine d’après, je pense. J’ai tout fait pour, je voulais sortir ce cauchemar de ma tête, j’ai seulement réussi à en sortir ton nom et ton visage, tout le reste est encore là. En septembre 2019, à l’anniversaire de Noé*, tu m’as violée. En arrivant là-bas, dès le début, on a senti qu’il y avait quelque chose de bizarre. Pour une raison étrange, tu cherchais à me faire boire. Je ne me rappelle plus d’une bonne partie de la soirée, j’avais trop bu. Je me souviens que certains des garçons qui étaient là s’étaient dit qu’ils allaient te garder à l’œil. À un moment, ils sont tous partis ces garçons, on était plus que cinq, j’ai repris conscience et tu m’embrassais, je n’en avais pas envie, je ne savais pas trop comment réagir alors, j’ai laissé faire, je me suis dit que ce n’était trop pas grave. Il est venu le moment d’aller dormir. J’avais ramené mon matelas gonflable et je suis partie l’installer. Même si je n’ai rien montré qui te disait de venir dormir avec moi, tu t’es installé là à côté, sur le matelas. Tu as commencé à me toucher, j’ai repoussé ta main plusieurs fois, je t’ai dit non plusieurs fois, mais rien n’y faisait, tu me faisais mal et tu n’arrêtais pas. J’étais trop faible et ivre pour réussir à te repousser plus que ça. Je ne comprenais pas pourquoi mon “non” ne suffisait pas. Ensuite, tu as commencé à mettre tes doigts dans mon vagin, tu me faisais toujours mal et tu me disais que tu voulais “me faire l’amour”. J’en ai encore envie de vomir, là, devant mon ordinateur, presque quatre ans plus tard. J’avais compris que mon non ne marcherait pas cette fois, alors j’ai dit que j’avais mes règles, que j’avais ma cup et que du coup ça n’allait pas être possible. Tu as encore insisté et tu as pris ma main et l’a posée sur ta bite. Alors, je me suis dit qu’il n’y avait que ça qui te calmerait, je ne voulais surtout pas que ça continue encore, donc je t’ai branlé. Ensuite, je ne sais pas si mon cerveau a juste voulu que ça s’arrête ou si je me suis endormie, mais je n’ai plus de souvenir.

Au réveil le lendemain matin, j’étais encore ivre, j’ai soufflé dans un ballon avant de reprendre la voiture et même si c’était positif, j’ai pris ma voiture et je suis rentrée chez mes parents. Il fallait que je m’enfuie, je ne pouvais pas rester là et risquer que tu te réveilles. Je suis rentrée chez eux, je n’ai rien dit, j’ai croisé ma mère, mis mes vêtements au sale et je suis allée dans ma chambre et j’ai pleuré pendant deux heures. Ensuite, j’avais un repas de famille, j’ai fait comme de rien et j’ai pleuré tout le chemin du retour en rentrant chez moi seule en voiture.  

Ont suivi 3 mois où je pleurais tous les soirs. Je passais des heures à revivre ça, à avoir peur que ça arrive à nouveau et à me dire que c’était un peu ma faute comme j’avais bu. Ça n’était pas et ne sera jamais ma faute, toujours de la tienne. C’est toi qui as violé mon corps alors que je disais non.

L’année d’après, j’ai vite arrêté d’avoir des rapports sexuels avec d’autres. À chaque fois, quelques jours plus tard, je rêvais que, eux aussi, me violaient. J’étais trop hantée par ces images pour les revoir.

Au bout de trois mois, j’ai arrêté de pleurer. Par contre, je faisais des crises d’angoisse. Des fois ça revenait. Tout allait trop vite dans ma tête, je repensais à cette violence, je n’arrivais pas à m’arrêter, je n’arrivais plus à respirer, j’avais l’impression que j’allais mourir d’asphyxie.

Un peu plus d’un an plus tard, en soirée, un mec bourré s’assied sur ma tête, je dis non et il reste là.  Alors, je pars en panique, je pleure pendant des heures et je continue de pleurer tous les soirs durant un mois. Puis les crises de larmes se calment, pas les crises d’angoisse. Je me disais que si jamais quelqu’un me violait ou m’agressait encore une fois, je ne sais pas si j’arriverais à continuer, peut-être que je préférais me laisser mourir de souffrance.

À cause du stress, des crises d’angoisses, j’ai développé un exéma nerveux. Encore une trace et une douleur dont tu es responsable.

En 2021, j’ai pris rendez-vous avec une psy, je suis suivie depuis, je fais une thérapie pour soigner le stress post-traumatique. Je travaille pour payer mes séances de thérapie parce que mes parents ne sont pas au courant que tu m’as violée.

On est en avril 2023, ça fait longtemps que je n’ai pas fait de crise d’angoisse. Par contre, les derniers mois étaient durs, j’avais enfoui ce qu’il restait de tristesse et de souffrance au fond de moi pour pouvoir vivre. Ma thérapie a fait ressortir tout ça. Je pleurais souvent, j’étais tout le temps en pyjama chez moi, dans mon canapé et ça ne m’avait jamais demandé autant de force de sortir de chez moi.

Tu te demandes peut-être pourquoi je te raconte tout ça. Au début, c’était comme si la violence existait, mais que tu n’existais pas, comme si ça n’était pas un être humain qui l’avait commise. Ensuite, j’ai été extrêmement en colère contre toi. Maintenant, il y a du dégoût. Pour l’instant, je ne veux pas aller porter plainte, je ne pense pas que même si tu finirais en prison ça changerait quoi que ce soit à ce qu’il s’est passé, à ce que je vis et à ta violence, si ce n’est que certainement l’exacerber. Je sais que tu es coupable et responsable de tout ça. Je n’ai pas besoin qu’un·xe juge me le dise. J’aimerais autre chose que tout ça. J’aimerais que tout ce que moi je porte encore de souffrances et tout ce que j’ai porté, ça soit toi qui le porte parce que c’est ta responsabilité, pas la mienne. Mais je pense que c’est un peu illusoire. Je me suis aussi demandé comment faire pour que tu ne le refasses pas. Que tu ne refasses pas souffrir d’autres personnes comme tu l’as fait avec moi. Il faudrait que tu te sentes responsable et que tu comprennes toute la douleur que tu m’as infligée. Alors te raconter ce qu’il s’est passé, toutes les souffrances que tu m’as fait subir ce soir-là et les années qui ont suivi, ça peut te donner un aperçu de ce dont tu es responsable.

Même si je pense que tu es conscient de la violence que tu m’as infligée ce soir-là, peut-être que lire tout ça t’y fera réfléchir.

Ressources de soutien aux victimes :

  • Centre d’accueil LAVI (Lausanne)
  • Viol-secours.ch (Association genevoise, permanence psychosociale, tel:+4122223452020)
  • Ressources victimes de Polyquity soutien.polyquity@gmail.com
  • www.enavanttoutes.fr (Tchat en ligne français)
  • Thérapies EMDR (Traiter les états de stress post-traumatique) https://emdr-ch.org/

Ressources sur la justice transformative :

Source image: Public Domain Image

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