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Imane Khelif: l’impossible sport féminin

L’absurde controverse

MM. Trump, Musk ainsi que Mmes Rowling et Stern vilipendaient dans un désastreux chœur la présence d’un homme en compétition de boxe féminine aux JOs (Jeux Olympiques). S’agit-il de Hergie Bacyadan1, boxeur philippin, homme transgenre n’ayant pas encore commencé la prise d’hormones ? Non ! Imane Khelif, une femme cisgenre et algérienne, désormais médaillée d’or des moins de 66 kg, est l’objet de la controverse. 

Quel est son crime ? Être “trop masculine” et avoir remporté la victoire sur son adversaire italienne en 40 secondes seulement. Cette polémique est idiote. Les faits, qui tiennent en deux mots, la démentent. Répugnante est non seulement la méthode de cyberharcèlement qui vise lâchement Imane Khelif, mais aussi l’acharnement des calomniateurs. L’adversaire hongroise de Mme Khelif a sauté sur l’occasion en la représentant tel un gigantesque démon plus musclé encore que des Schwarzenneger par voie d’une image générée par IA2.

Le contexte politique

L’absurde controverse prend lieu dans un contexte de panique morale contre les femmes transgenres dans le sport. Au centre, une peur que des hommes s’introduiraient dans les compétitions sportives féminines afin d’y blesser et voler la vedette aux femmes. Mais y a-t-il réellement besoin de faire une transition médicale—stigmatisée, parfois chère et difficile d’accès—pour qu’un homme fasse les deux impunément ?

Ce discours omet la réalité biologique (pas mal pour celleux qui s’en prétendent disciples !) des transitions féminisantes : elles modifient la structure des muscles. Les femmes transgenres disent sentir une grande différence au bout de six mois à un an de thérapie hormonale. La médecine atteint un consensus : trois ans sous œstrogènes induisent une structure musculaire féminine3 4. Les femmes transgenres se trouvent alors souvent en désavantage par rapport à leurs consœurs cisgenres ; elles tirent une masse osseuse plus conséquente avec des muscles aussi fins qu’elles.

La débâcle tourne autour d’une vigilance aux taux de testostérone trop élevés. Mais les bloqueurs de testostérone que prennent les personnes transféminines réduisent le niveau de cette hormone à celui des femmes cisgenres. Qui plus est, l’ablation des gonades, opération populaire chez les femmes transgenres, amène la testostérone généralement bien en deçà des niveaux habituels chez une femme cisgenre !5

Genre et Sexe

Cette lutte transphobe n’invente rien. Dans les mots de Mme Wittig qui clôturait “La pensée straight” : puisqu’en dehors du schéma hétéronormatif, “la lesbienne n’est pas une femme”.

De même, les athlètes lesbiennes furent harcelées, chassées, persécutées pour leur sexualité dès lors qu’elles remportaient une victoire sur leurs sœurs hétérosexuelles6.

La dénaturalisation du genre proclamée par Wittig (et les autres féministes matérialistes), puis reprise par la majorité des féministes, fait encore controverse aujourd’hui. Mais suivant ce schéma, la chasse à la testostérone s’établit comme dernière itération de l’impossible jeu de classification homme/femme du patriarcat. Car pour procéder à cette catégorisation, il faut créer une caricature de femme qui ne correspond à exactement personne7. Cet épouvantail érigé devient alors fantasme de ce à quoi une femme devrait ressembler, même transpirante dans un ring.

Caster Semenya, femme cisgenre intersexe, fut interdite de compétition par une autorité sportive située en Suisse, si elle ne prenait pas la pilule contraceptive—stérilisation d’État qui fut dûment condamnée par la CEDH8. Serena Williams fut aussi accusée d’être transgenre, pour ses bras jugés “trop gros” et les différences de physique entre sa sœur et elle-même9. Aujourd’hui, c’est Mme Khelif que l’on assène de haineuses accusations.

Le racisme des normes de genre

Cette chasse à la testostérone a un impact intersectionnel clair : cette pratique a commencé dans les années 30 en plein essor de l’eugénisme10, et dans une culture où la femme noire est privée du statut de femme. Elles sont effectivement présentées comme fortes, bruyantes, compétitives, fermes, etc.11 —qualificatifs réservés comme qualité aux hommes blancs, défaut pour les autres. La femme se soit d’être silencieuse et soumise, ce que l’on attribue a priori qu’aux femmes blanches. Dès lors, la femme noire est soupçonnée de dévier de la féminité pour une raison intrinsèque, biologique, hors de son contrôle. La testostérone constitue alors une coupable parfaite. Il suffirait alors d’en mesurer des taux  anormaux pour conclure à une masculinité inhérente à la racisation ; alors que celle-ci n’existe pas en-dehors des préjugés12 !

L’étalon de la féminité est dès lors calibré sur une minorité privilégiée : la femme cisgenre hétérosexuelle endosexe blanche. Qui est exclue du critère de féminité hégémonique se voit refusée sa participation aux compétitions sportives comme les JOs. Elle se met aussi en danger potentiel d’une violence médiatique dont seul le patriarcat possède le secret. Et qui est cisgenre et racisée est soupçonnée d’être secrètement un homme, si elle remporte la compétition trop haut la main !

Le racisme des compétitions féminines aux JOs est un problème connu depuis longtemps. À Tokyo, les bonnets de bains qui tiennent les cheveux naturellement plus résistants et volumineux de beaucoup de femmes noires étaient interdits. L’on a aussi refusé la participation de deux sprinteuses namibiennes aux taux naturels de testostérone trop élevés13. Le racisme n’est point l’apanage du Japon. À Paris, les athlètes françaises ne peuvent porter le voile14.

L’impossible sport féminin

Un sportif olympique, c’est quelqu’un qui doit prouver qu’il excelle dans une discipline olympique. Une sportive olympique quant à elle doit avant tout démontrer qu’elle est une femme.

À un niveau moindre, ceci concerne aussi l’EPFL, où les Students’ Games méditaient l’exclusion d’emblée des personnes transféminines des catégories sportives pour femmes. Dans cette lignée, l’individu qui s’identifiait à la mention de genre X aurait dû répondre à un questionnement très intime des procédures médicales qu’iel a subies ; un examen invasif pour une compétition à si petit enjeu.

Tandis que le doping est un réel problème, et la testostérone un stéroïde, on ne le confronte pas en construisant une caricature raciste, transphobe, intersexophobe, et ultimement sexiste, car ignorante de la diversité. Les hommes cisgenres ne sont pas interdits de compétition pour des petites fluctuations hormonales hors des normes blanches15. Il faut démonter les logiciels réactionnaires qui se forcent sur les FLINTAs (Femmes, Lesbiennes, Intersexes, Non-binaires, Transgenres, Agenres) pour leur interdire de faire du sport librement. C’est ceci qui permettra à la compétition de s’embraser d’excellence sportive !

Le débat public entourant l’affaire

Surprenamment, la conclusion que voici ne correspond pas au débat entourant Mme Khelif. Celle-ci avait échappé aux journalistes et autres commentateurices politiques.

D’une part, par une supposée “neutralité journalistique” propageait la haine transphobe, raciste et misogyne de milliardaires et leurs chiens de garde. Une véritable intégrité journalistique, qui aspirait à la réalité, aurait ignoré cette campagne hors-sol basée sur des mensonges aisément réfutables.

L’autre moitié du temps de parole était accordée à des vagues de soutien de divers horizons militants. Mais plutôt que condamner le système normatif des genres comme celui qui prend en tenaille les femmes, l’on s’appliquait plutôt à y faire entrer l’athlète. Analysons ces diverses approches, leurs succès et faillites.

Un certain féminisme privilégié criait : “Mais elle n’est même pas trans’ !” ; comme si la transitude justifiait un tel lynchage médiatique. Démarche aveugle aux inégalités transphobes et racistes, elle fut l’un des principaux angles de défense de Mme Khelif présenté dans les journaux. Dans la même veine, nous voyions circuler une comparaison photographique de Mme Khelif maquillée, souriante et hors du ring—performant la féminité, donc—à Lady Diana. Sans modicum d’ironie, ces gens répétaient l’injonction à la féminité blanche, cisgenre, hétéronormative et bourgeoise. Leur défense de Mme Khelif était conditionnelle à son adhésion à ces mêmes normes de genre qui l’en excluaient quand elle exerça sa profession.

L’autre parti de Mme Khelif dans les médias occidentaux était le féminisme queer. Celui-ci argumentait en faveur d’une libre concurrence des athlètes intersexes au sein des compétitions de leur genre assigné à la naissance ; ou plus largement en accord avec leur identité de genre. Dans cette lignée, il n’était pas rare de voir répété le cliché raciste et sans fondement des femmes racisées ayant plus de testostérone. Lors d’un entretien avec la télévision algérienne, Mme Khelif n’appporta pas son soutien à la communauté transgenre. Alors, cette dernière débattit de l’abandon de son soutien à la victime. Comme si la solidarité se devait d’être transactionnelle. Mais il s’agit surtout d’une réaction qui justifie la violence raciste contre une victime jugée “pas assez progressiste”, logique semblable au fémonationalisme.

Ainsi omettait-on les racines racistes de la polémique dans les journaux. Faute de visibilité institutionnelle, l’opposition anti-raciste à la déferlante de haine s’organisait sur les réseaux sociaux. Ainsi rappelait-on que les principales victimes des normes de genres olympiques étaient racisées. Ce militantisme énumérait les athlètes racisées accusées d’être des hommes en raison de leurs performances impressionnantes. Mais là aussi se dévoilaient des angles morts : les femmes transgenres sont tout simplement interdites de concourir ! Malgré un vécu similaire, une hostilité aux personnes transgenres dans le sport y était parfois même expressément assumée.

Unisson des analyses, solidarité dans la lutte !

Dès lors, chaque formation défendant Mme Khelif avait, bien que des arguments convaincants, ses limites. Chacune ne voyait pas plus large que le seul prisme d’analyse de sa lutte—LGBTQ+ ou anti-raciste. Cette myopie militante empêchait au mouvement social de comprendre que dans cette affaire, contexte transphobe et fond raciste formaient une sordide alliance. Cette séquence politique était de plus marquée d’une défiance entre militant·x·e·s issu·x·e·s de milieux différents. Plus grave encore : afin de soutenir ses arguments, chaque groupe employait occasionnellement les mécanismes discriminatoires que l’autre dénonçait.

Une union militante provenant d’une fusion de perspectives aurait permis de cerner qu’un conservatisme anti-transgenre assez véhément se dégradera forcément en racisme militant. Elle aurait distingué les tenants racistes des institutions qui biologisent le genre et le sexe (alors qu’ils sont une donnée sociale). La thèse inverse, réalisée durant les années 30, aurait aussi été mise au goût du jour.

Une telle alliance aurait décrit l’essentialisme de genre et de race comme les deux côtés d’une même pièce. Elle aurait donc prescrit une solidarité entre anti-racisme et libération queer, possiblement sous le nom d’un féminisme intersectionnel et/ou matérialiste. À la place, nous observions des effusions qui proclamaient que l’une des facettes prenait le dessus sur l’autre.

Combiner les analyses n’est pas qu’une nécessité morale. Intégrer des points de vue divergents amène bien souvent à de l’unité et une meilleure compréhension des oppressions que nous expérimentons. Mais n’envisageons pas ces diverses contributions comme cautions militantes, où simples contributions académiques. Incorporons ces perspectives dans une lutte d’auto-détermination transgenre et anti-raciste !

  1. Hergie Bacyadan est un boxeur transgenre aux Jeux olympiques « parce que mon cœur le dit », GayVox, https://www.gayvox.fr/hergie-bacyadan-est-un-boxeur-transgenre-aux-jeux-olympiques-parce-que-mon-coeur-le-dit ↩︎
  2. Imane Khelif’s next opponent shares incendiary picture portraying boxer as a ‘beast’, The Telegraph, https://www.telegraph.co.uk/olympics/2024/08/02/if-a-man-its-a-bigger-victory-says-imane-khelif-opponent/ ↩︎
  3. How does hormone transition in transgender women change body composition, muscle strength and haemoglobin? Systematic review with a focus on the implications for sport participation, J. Harper et al., British Journal of Sports Medicine, https://bjsm.bmj.com/content/55/15/865 ↩︎
  4. Research Suggests Trans Women Don’t Have a Complete Athletic Advantage, Outside, https://www.outsideonline.com/health/training-performance/research-trans-women-athletes-athletic-advantage/ ↩︎
  5. Transgender Women Athletes and Elite Sport: A Scientific Review, Centre de recherche pour l’équité des genres+ en sport ↩︎
  6. Post Instagram de @mecreantes ↩︎
  7. Trouble dans le genre, J. Butler ↩︎
  8. Semenya v Switzerland: Divided ECtHR Significantly Advances the Human Rights Protection for Intersex Athletes (and all professional sportspeople in general) – Part I, Oxford Human Rights Hub, https://ohrh.law.ox.ac.uk/semenya-v-switzerland-divided-ecthr-significantly-advances-the-human-rights-protection-for-intersex-athletes-and-all-professional-sportspeople-in-general-part-i/ ↩︎
  9. How Serena Williams responds to accusations that she ‘was born a guy’, Business Insider, https://www.businessinsider.com/serena-williams-responds-to-accusations-she-was-born-a-man-2018-5 ↩︎
  10. ‘Race science’ is rearing its ugly head again – and black women are the target, The Independent, https://www.independent.co.uk/voices/caster-semenya-race-science-guinea-pig-saartjie-baartman-a8971081.html ↩︎
  11. The Masculinization of Black Women, Arana Blake, Nubian Message, https://thenubianmessage.com/12273/opinion/the-masculinization-of-black-women/ ↩︎
  12. Racial differences in sex hormone levels in women approaching the transition to menopause, J. M. Manson et al., https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0015028200017234 ↩︎
  13. Black women athletes are still being scrutinized ahead of the Olympics despite their successes, CNN, https://amp-cnn-com.cdn.ampproject.org/v/s/amp.cnn.com/cnn/2021/07/06/us/black-women-athletes-treatment-olympics-spt?amp_gsa=1&amp_js_v=a9&usqp=mq331AQIUAKwASCAAgM%3D#amp_tf=Source%C2%A0%3A%20%251%24s&aoh=17233079724324&referrer=https%3A%2F%2Fwww.google.com&ampshare=https%3A%2F%2Fwww.cnn.com%2F2021%2F07%2F06%2Fus%2Fblack-women-athletes-treatment-olympics-spt%2Findex.html ↩︎
  14. France. L’interdiction du port du foulard dans le sport en France met au jour l’existence d’une politique du « deux poids, deux mesures » discriminatoire à la veille des Jeux olympiques et paralympiques, Amnetsy International, https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2024/07/france-hijab-bans-olympic-and-paralympic/ ↩︎
  15. Sex eligibility rules for female athletes are complex and legally difficult. Here’s how they work., NBC News, https://www.google.com/amp/s/www.nbcnews.com/news/amp/rcna165802  ↩︎

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