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L’Université de Lausanne trop “binaire” ?

Dans son plan d’intention 2021-2026, l’Université de Lausanne met en avant l’acronyme EDI (égalité, diversité, inclusion), notamment pour la diversité de genre sur le campus. Quel état des lieux à ce sujet pour les personnes trans et non-binaires ? Spoiler alert : ça n’avance que très lentement, et pas toujours au bon endroit. Petite mise en contexte.

La non-binarité est un terme parapluie sous lequel sont réunis un ensemble d’identités de genre (notamment agenre, genderqueer, genderfluid, trans non-binaire, etc.), qui ont en commun de n’être ni strictement féminines, ni strictement masculines. Et il est bien ici question d’identité de genre, qui est relative au vécu, et non d’expression de genre, soit la manière de « mettre en scène » son genre dans un contexte donné. Ainsi, une personne non-binaire n’adopte pas nécessairement un style que l’on pourrait qualifier d’androgyne, ni ne change de prénom ou de pronoms.

Il est aussi important d’avoir conscience de la violence qui est produite par la norme binaire. À ce sujet, l’exemple des mutilations dont peuvent être victimes les enfants né·xes intersexes – par des procédures de réassignation sexuelle non consenties – est très parlant. Rien ne peut justifier ces atteintes à l’intégrité de jeunes enfants, si ce n’est la nécessité de les « normaliser ».

Mais au-delà de ces violences médicales, il est simplement question de la mise à l’écart systématique des personnes hors des catégories strictement féminines ou masculines. Cela s’exprime surtout dans tous ces moments où il est nécessaire de se décider, choisir de cocher la case « H » ou « F ». Je pense évidemment aux cases sur tous les formulaires administratifs, mais aussi les toilettes, les rayons des magasins, les formules de politesse, les vestiaires, et cetera, et cetera. Tout cela pour nous ramener à ce que nous sommes avant tout : une femme ou un homme.

Et en aucun cas la lutte contre ces violences produites par la norme binaire ne vient remettre en cause la lutte féministe. Au contraire, ces violences viennent s‘inscrire dans le même continuum que toutes celles produites par la masculinité hégémonique. En effet, penser de manière binaire c’est aussi un moyen de maintenir une logique de domination, en construisant une hiérarchie entre les individus – en fonction de leur sexe, leur couleur de peau, leur nationalité, leur apparence physique, etc. – et ne laisser personne échapper à cette logique, par exemple quelqu’un qui ne serait pas « clairement » identifiable.

Cette mise à l’écart est également assurée par l’État, qui ne reconnaît toujours aucune identité autre que les classiques « H » ou « F » en Suisse. Mais prenons la question de manière plus large, et demandons-nous : pourquoi l’État a-t-il besoin de connaître la nature de nos organes génitaux à la naissance ? Ou pour la poser autrement : pourquoi la mention du sexe biologique ne peut-elle pas simplement apparaitre sur un dossier médical ? Pourquoi forcément sur les papiers d’identité ?

La question est pourtant simple, et d’autant plus pertinente dans un pays où les femmes et les hommes sont – en principe – égaux en droit et que le mariage pour toutes et tous est enfin autorisé. Mais rien n’est fait pour changer ce modèle fondé sur un discriminant, pensé à une époque où les femmes ne pouvaient pas voter, ni ouvrir de compte en banque ou travailler sans l’autorisation du mari ou du père.

Pour la petite anecdote, au moment de mon entrée à l’université il y a un an, j’ai fait la demande de neutraliser, le cas échéant retirer, la mention de genre de mon dossier. La réponse, alors totalement à côté de la plaque, m’indique que tout changement de mon genre dans les bases de données ne peut se faire que sur la base d’une pièce justificative, donc suite à un changement auprès de l’État civil ; c’est alors que le serpent se mord la queue.

Et c’est donc aussi à l’université que cette violence et cette mise à l’écart se reproduit. Malgré la récente obtention de certains droits (simplification des procédures de changement de prénom et de mention de genre, diplômes non-genrés, toilettes individuelles à Amphipôle), les personnes trans et non-binaires restent largement discriminées, manquent de représentation et de visibilité. Donc jusqu’au moment de recevoir un diplôme, tout au long du cursus, un choix doit être fait, une case doit être cochée. C’est cet élément central qui est ignoré, la simple reconnaissance de l’existence de ces personnes.

Le simple passage aux toilettes est souvent un calvaire, poussant certaines personnes à ne pas y aller de la journée (et bonjour les infections urinaires). À ce sujet, l’université n’envisage rien d’autre que la rénovation des sanitaires, ce qui va prendre au minimum une décennie. Aucune solution intermédiaire n’est envisagée, comme le changement de la signalétique des WC, pour un modèle autre que le classique pantalon, jupe et chaise roulante.Donc en attendant la reconnaissance de l’UNIL et de l’État, les hors-la-loi du genre continuent d’exister partout, tout le temps. Cependant, et heureusement, l’université reste dans une certaine mesure un safe space pour les personnes queer. Mais être non-binaire, c’est toujours devoir se battre pour exister en dehors des lieux dédiés à la vie queer. Cette ostracisation latente, comme pour toute autre forme de rejet, mène donc à une forme d’isolement et de violence envers soi. Et c’est cela qui fait entrer l’enbiphobie – discriminations visant les personnes non-binaires – dans le continuum des violences sexistes.

Références​1–3​ :

  1. 1.
    International France A. Que signifie être intersexe ou intersexué(e) ? https://web.archive.org/web/20240212121502/https://www.amnesty.fr/focus/le-i-de-lgbti
  2. 2.
    Lausanne D de l’Université de. Plan d’intention de la Direction de l’Université de Lausanne 2021-2026. https://web.archive.org/web/20240212121345/https://www.unil.ch/files/live/sites/central/files/docs/plan-intentions-unil-21-26.pdf
  3. 3.
    Regache C, Hennette Vauchez S. Faut-il mentionner le sexe sur les papiers d’identité. Published online 2020.

Source Image : Club de Bridge. Illustration pour la journal papier.

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