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Assemblée de la transition de l’UNIL : Comment construire une cathédrale pour une prière

L’Université de Lausanne met souvent en avant d’avoir été la première université suisse à créer un poste de vice-recteur·xice à la durabilité, en 2011 déjà. Benoît Frund, qui occupe ce poste depuis sa création, souligne fréquemment la vision de durabilité forte​*​ de l’université. 

Malgré un discours et certains positionnements résolument écologistes, rien ne différenciait les pratiques sur le campus de l’université lausannoise à la rentrée d’automne 2022 d’autres campus moins friands de discours écologistes. Contenu des enseignements, part de nourriture carnée, mobilité intercontinentale aérienne, l’UNIL n’est dans la pratique pas bien différente de n’importe quelle université.

Face à ce constat peu reluisant, l’Université surprend en annonçant courant septembre 2022 une grande assemblée consultative. Quinze participant·xes sont ainsi tiré·xes au sort dans  chacun des quatre corps de l’école (estudiantin, intermédiaire, professoral, personnel administratif et technique) formant ensemble soixante membres en charge d’élaborer les objectifs et mesures pour “faire entrer l’empreinte environnementale de l’UNIL dans le Donut”​†​.

L’usage de ce dispositif ressemble beaucoup à la Convention Citoyenne sur le Climat tenue en France entre octobre 2019 et juin 2020. Composée de citoyen·xnes tiré·xes au sort, elle avait pour objectif de « réduire d’au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 dans une logique de justice sociale »​(Participation Citoyenne [sans date])​. À l’époque, le dispositif avait montré une certaine efficacité en amenant ses membres, des citoyen·xnes néophytes, à proposer des mesures cohérentes et radicales pour résoudre les enjeux climatiques. Emmanuel Macron s’était engagé à reprendre telles quelles les mesures de la commission. Dans la pratique, l’immense majorité des propositions a toutefois été édulcorée ou mise de côté par l’exécutif​(D’allens, Boeuf, Dang 2021)​, nombre de celles-ci n’entrant que difficilement dans le dogme néolibéral prôné par le président français.

Un dispositif limité 

L’énergie et l’espoir placés par l’université dans ce projet nous ont, à vrai dire, impressionné·xes. Durant les mois avant et pendant l’assemblée de la transition, les services du vice-rectorat à la durabilité nous ont maintes fois expliqué ne prendre aucune initiative en attendant passivement, comme parole du Seigneur, le retour de l’assemblée. 

Après une année de travail, l’assemblée de la transition de l’UNIL a finalement conduit à des résultats assez similaires à ceux du contexte français : les participant·xes sont devenu·xes très conscient·xes des enjeux et ont proposé des mesures relativement ambitieuses. Mais malheureusement pour les plus croyant·xes d’entre nous, loin d’imaginer des solutions révolutionnaires, l’assemblée de la transition n’a produit qu’un ensemble d’objectifs et mesures que l’UNIL et ses équipes de durabilité connaissaient déjà…. En cela, il n’est rien sorti de neuf de l’assemblée.

Alors à quoi aura servi cette assemblée ? Le but du dicastère avec cette initiative était aussi la production d’une forme de légitimité « démocratique » pour la mise en place de ces changements. Est-ce utile ? Probablement un peu, mais nuançons-en l’intérêt concret : les personnes drastiquement opposées aux mesures de transition le seront toujours, même après cette « validation démocratique » et cette minorité bruyante continuera de ralentir tout changement.  

Ainsi, il n’est pas tout à fait clair à ce jour ce que ce rapport de l’assemblée permet de faire. Concrètement, il n’économisera pas d’énergie pour la mise en place des mesures et il ne contient rien qu’une personne travaillant sur ces sujets n’aurait pu penser sans cette assemblée.

Sur le fond du rapport

Le rapport de l’Assemblée​(Université de Lausanne 2023)​ s’articule en 28 objectifs généraux, auxquels sont associés un total de 146 mesures plus concrètes. Parmi ces objectifs, certains sont assez précis et ambitieux tels que « l’instauration d’un moratoire sur les nouvelles constructions » ou « la réduction à 5% du poids total des aliments d’origine animale consommés à l’UNIL d’ici à la rentrée 2028 ». D’autres restent d’ordre très général et consensuels tels que « la réduction des déchets liés au numérique » ou  « amener la population de l’UNIL à venir à vélo ». 

Parmi les objectifs pour lesquels les associations et syndicats étudiants se sont beaucoup mobilisés, trois des revendications sur l’alimentation du mouvement unitaire « On a les crocs » sont reprises dans le rapport final de l’assemblée.

  • Internaliser tous les services de restauration et épiceries, d’ici 2032.
  • Proposer un plat végétarien ou végétalien à 3.- CHF pour les étudiant·xes, d’ici la rentrée 2024.
  • Réduire de 27% à 5% le poids total des aliments d’origine animale proposés à l’UNIL d’ici la rentrée 2028.

Les sujets traités et objectifs proposés à l’issue de cette assemblée sont donc en effet en concordance avec la science et les revendications écologistes des dernières années. Cependant, le diable se cache dans les détails. Une lecture attentive des différentes mesures laisse en effet rapidement entrevoir qu’il en faudra plus pour “faire rentrer l’UNIL dans le Donut” ; la majorité des mesures vont dans le bon sens, mais semble manquer d’un ordre de grandeur. Dans son ensemble, le rapport de l’assemblée est toutefois cohérent, ambitieux sous certains aspects et questionne a minima le statu quo. Aussi, dans l’ensemble de ses travaux, l’assemblée a eu une attention toute particulière aux enjeux sociaux inhérents à l’université, ce qui change de beaucoup d’approches purement “environnementales”.

Nous pourrions aussi discuter des délais de certaines mesures, dont les échéances lointaines paraissent ignorer l’urgence de la situation. Mais finalement, le grand absent de ce rapport, c’est l’enseignement. Avec le mandat de ne travailler que sur les aspects opérationnels de l’école, l’assemblée n’a pas effleuré ce qui représente l’impact majeur de l’UNIL: le conditionnement et le formatage intellectuel des étudiant·xes. Malgré de réguliers saupoudrages de “sustainability” dans les plans de cours, les réformes de fond sur ce sujet se font attendre depuis des années. Les dogmes de croissance illimitée, techno-solutionnisme et foi arbitraire dans le système capitaliste sont encore distillés jour après jour à des milliers d’étudiant·xes passant sur les bancs de l’UNIL. 

Mais alors quelles perspectives ?

Le rapport de l’assemblée de la transition n’a rien de contraignant pour l’UNIL. La direction s’était engagée à tenir informée l’assemblée de la suite qu’elle comptait donner au rapport ;  un premier retour à ce sujet a déjà eu lieu en novembre 2023. Selon nos informations, dans cette séance, la direction a annoncé adhérer à 22 objectifs et en mettre déjà de côté 3, dont la question des repas abordables. Les mesures précises seront évaluées dans les mois à venir et une stratégie devrait émerger d’ici à l’été 2024, rien de trop concret pour l’instant…

Ce ne sera donc probablement pas demain que le rapport de l’assemblée et ses objectifs se concrétiseront par de réels changements au sein de l’UNIL. La mise en place de la moindre de ces mesures requerra d’ailleurs plus de changements dans l’UNIL que n’en ont supervisé les équipes de durabilité dans les trois dernières années. Ainsi, si l’UNIL ne passe pas la vitesse supérieure, il y a fort à craindre que nous pourrions attendre encore longtemps. 

Finalement, si le rapport de l’assemblée a le mérite de mettre en exergue des points de changements importants, il garde sous silence l’impact de l’enseignement. Il reste tout de même de notre devoir de veiller à ce que les actes suivent au plus vite et de dénoncer l’incohérence des politiques de l’école dans le cas contraire. À l’heure de l’urgence climatique, aujourd’hui comme demain, battons-nous pour une écologie solidaire.


  1. ​*​
    La durabilité forte reconnaît une “valeur intrinsèque aux éléments naturels et aux relations sociales qui ne peuvent être quantifiés (et donc remplacés) en termes de valeur économique”. Voir page 5 du rapport final de l’Assemblée de la Transition – UNIL cité ci-dessous.
  2. ​†​
    Concept de durabilité, développé par Kate Raworth, mettant en perspective l’activité humaine sur deux dimensions : les impacts environnementaux, la satisfaction de besoin sociaux.
  1. D’ALLENS, Gaspard, BOEUF, Nicolas et DANG, Léa, 2021. Convention pour le climat : seules 10% des propositions ont été reprises par le gouvernement. Reporterre, le média de l’écologie [en ligne]. 31 mars 2021. Disponible à l’adresse : https://reporterre.net/Convention-pour-le-climat-seules-10-des-propositions-ont-ete-reprises-par-le-gouvernement [Consulté le 18 janvier 2024].
  2. PARTICIPATION CITOYENNE, ., [sans date]. Convention Citoyenne pour le Climat . participation-citoyenne.gouv.fr [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.participation-citoyenne.gouv.fr/trouver-une-concertation/83_convention-citoyenne-pour-le-climat [Consulté le 12 février 2024].
  3. UNIVERSITÉ DE LAUSANNE, ., 2023. Assemblée de la Transition – Unil : Rapport final [en ligne]. Université de Lausanne. Disponible à l’adresse : https://wp.UNIL.ch/assemblee-transition/le-rapport/ [Consulté le 18 janvier 2024].

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