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Lutter contre quoi? Pourquoi et comment? éclairages sur l’activisme écologiste avec le film “Woman at War”

***Attention spoiler du film!

Le 27 novembre dernier, une joyeuse équipe de membres d’Unipoly, Polyquity et les ciné-clubs Unil-EPFL dont je faisais partie a organisé une projection du film “Woman at War”, suivie d’une discussion sur le militantisme féministe et écologiste. Une soirée pour découvrir ou revoir ce film de Benedikt Erlingsson mettant magnifiquement en scène une femme islandaise qui :

Défend la terre qu’elle aime profondément,
S’insurge contre sa destruction illégitime par un système dominant,
Imagine des moyens de contrecarrer la politique mise en place
et s’oppose  avec son corps au système et à sa répression.

C’est cela que l’on retrouve, incarné dans le personnage principal de ce film, Halla, qui lutte seule contre l’implantation grandissante de l’industrie de l’aluminium sur les terres islandaises. Elle décide de saboter les installations de ses propres mains, avec l’aide ponctuelle d’un fermier local, afin d’empêcher la production d’aluminium et de montrer au gouvernement l’opposition d’une partie de la population à ces industries. En racontant l’histoire de cette activiste, le réalisateur montre à un large public l’action directe* et lui fait découvrir comment un sabotage écologiste est mené à bien.

La mise en scène centrée sur les réflexions et interactions quotidiennes de la protagoniste permet aux spectateurices de comprendre les motivations personnelles et politiques des actes répétés de sabotage de Halla, et rend ainsi cette lutte abordable à touz. En sortant de la projection, on en viendrait presque à se demander si cette femme qui prend un arc pour mettre hors-service des lignes hautes tensions dans les terres isolées d’Islande, ça ne pourrait pas être nous finalement?

Nous avons voulu poursuivre cette projection avec une discussion en compagnie de femmes activistes  des luttes écologistes de la région. Pour cela, nous avons demandé à trois femmes, Ludivine, Michèle et Florence, de répondre à quelques questions que nous avions préparées pour créer un espace de discussion avec les participant.es. Elles ont partagé leurs impressions sur le film, et ce qui les a amenées à avoir aujourd’hui un engagement écologiste et social fort. Chaque personne présente a pu réfléchir et discuter de la façon dont on vit aujourd’hui une action directe, sur la fonction de ces moyens de lutte (p.e sabotage) dans une stratégie, quels moments sont particulièrement difficiles à vivre dans la lutte, et pourquoi?

De ces discussions sont ressortis beaucoup de ressentis et d’expériences communes aux invitées et à la protagoniste du film. Leurs expériences de luttes d’aujourd’hui nous ont permis d’approfondir des thèmes évoqués dans le film afin de décortiquer les principales étapes du processus d’engagement militant décrit dans ce film. 

Légitimation de la lutte et adhésion au moyen d’action

Halla peut continuer la lutte dans le film grâce à un allié  précieux qu’elle s’est constitué alors que ses actions prenaient de l’ampleur. Elle a ainsi réussi à légitimer sa lutte auprès d’une personne et à lui faire prendre le rôle de résistant, montrant par là-même qu’en faisant comprendre les raisons profondes sous-tenant une lutte, on peut fédérer des personnes autours de celle-ci. 

Les militantes de cette soirée en sont ainsi venues à trouver légitimes les actions que mènent les collectifs ou associations dont elles font aujourd’hui partie. Michèle raconte les débuts de son militantisme : « C’est en ne trouvant pas légitimes les dirigeants politiques mais plus légitimes des collectifs ou associations de luttes écologistes telles qu’Alternat’Yv ou la Grève du Climat que la lutte a pris du sens et me donne de l’énergie ».

Dépolitisation de la lutte par le système

Il est frappant de remarquer dans le film que les revendications de la protagoniste à l’encontre de l’industrie d’aluminium et du gouvernement ne sont jamais discutées ou débattues dans le discours public. Au contraire, le seul récit raconté au travers des médias est celui d’une terroriste qui brise les outils démocratiques en usant d’actions illégales et violentes. Un discours de répression s’installe alors dans le débat public et elle devient ainsi l’ennemie numéro une à arrêter.

Le moyen de lutte utilisé (le sabotage) est présenté comme finalité de l’action et se retrouve ainsi complètement discréditée auprès de la population. Ce stratagème permet au gouvernement d’éviter soigneusement un débat de fond qu’il redoute, en la faisant passer pour l’ennemie de toux citoyen·ne. Ainsi l’état garde le pouvoir sur ces questions sociétales, et le problème n’est pas abordé à la racine, à savoir la pertinence et les impacts de l’industrie de l’aluminium. 

Florence raconte comment elle ressent souvent que la revendication de la lutte est mise de côté à cause de la tactique d’action jugée extrême, par exemple une occupation ou un sabotage. Elle relève en effet que « dans le film les gens ne sont pas informés par les médias de la raison de ses actes, les gens ont juste compris que c’était une terroriste contre la nation».

De plus, les faits d’être une femme et de dénoncer la violence du système en critiquant par exemple les grands industriels l’ont souvent conduite à se faire reléguer au rôle de la femme qui défend la nature et non à celui d’adversaire politique par ses opposant.es.

Vivre le militantisme qu’est ce que ça veut dire ?

Être militante et opposer son corps et ses idées à l’état et à son système de répression, c’est accepter de se sentir seulex et isoléex à certains moments. C’est être capable de sacrifier certaines choses de sa vie personnelle pour le commun. Du temps familial, des amis, du temps de vie si l’on se retrouve en prison par exemple, ou encore une meilleure carrière professionnelle. Florence se souvient de s’être sentie seule après une action à la tête de laquelle elle a été propulsée malgré elle, même si l’action dans son ensemble était soutenue par un groupe d’activistes. « On ressent une solitude et un malaise car on n’est pas compris par les autres, on appréhende les répercussions que pourraient avoir l’action sur sa vie de tous les jours. »

Dans le film, on peut remarquer la même solitude de Halla lors de sa lutte, plus forte encore car elle ne fait parti d’aucun collectif ou regroupement qui peuvent la soutenir. Elle sait que tout peut s’arrêter pour elle, sa lutte, sa maternalité, quand elle se fera prendre par la police.

On en vient alors naturellement à se demander : qu’est-ce qu’on est prête à risquer pour la lutte ?

Pour Michèle, la perspective de la prison peut-être envisageable, si celle-ci s’inscrit dans une stratégie réfléchie au sein d’un mouvement et qu’elle est soutenue par les copaines. Il est important de se rendre compte que notre position privilégiée dans la société nous permet de faire ce type d’activisme sans avoir trop de soucis avec les forces de l’ordre et la justice. Comme le remarque Florence, elle est une femme blanche, étudiante, de nationalité Suisse qui peut donc assumer cet activisme radical et ainsi s’exposer au système de répression plus facilement que les personnes racisées, précaires ou encore sans-papiers.

Déconstruire les modèles de la société pour en construire d’autres

La discussion nous a permis de déceler un problème très bien résumé par quelqu’un.e dans l’assemblée : « on a pas ‘militantisme’ de 14h à 16h le mardi et ensuite on va chercher son gosse à l’école ! (rires) ». Ici, la protagoniste met toute sa vie en danger (son travail, sa future adoption, etc) pour mener à bien son action. Elle fait donc de sa lutte une priorité, acceptant que l’entièreté de sa vie personnelle passe au second plan.

Du vécu des invitées, un ressenti fort qui se dégage est la difficulté de concilier sa vie familiale, ses amitiés et ses activités diverses avec son militantisme. Les temps consacrés à une toute autre activité sont perçus comme le raconte Florence “comme des moments perdus pour la lutte et un sentiment de malaise s’installe [en soi-même]”. Ce même sentiment négatif revient aussi quand la lutte prend trop de place et que les autres pans de notre vie nous semblent être mis de côté.

Selon Ludivine, c’est le milieu militant qui nous aide à déconstruire des notions comme la famille, le travail, etc, pour créer une nouvelle collectivité, avec des liens différents entre les parents et les enfants par exemple. Elle ajoute que le militantisme ce n’est pas seulement des actions, c’est tout ce qui va avec, comment vivre ensemble, être solidaire, etc.

Ces militantes se retrouvent souvent confrontée au syndrome du « je ne peux pas participer maintenant, dénoncer maintenant cette inégalité car j’ai telle situation favorable (familiale, professionnelle, études) pour le moment. Je ne peux pas me risquer à la perdre pour ça. C’est donc le confort de vie dans le système et ce qu’on pourra gagner plus tard en continuant dans notre position privilégiée qui empêche certain.es de se révolter.

En effet, l’individualisme est exacerbé dans la société, poussant les gens à penser que toute forme de solidarité est malvenue et donc condamnable par l’état. Des exemples tels que les assemblées citoyennes des Gilets Jaunes ou l’autogestion des habitant.es de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes nous montre que la solidarité est essentielle et permettra de résister contre ce “système capitaliste moribond”, pour reprendre l’expression du podcast Floraisons§.

Sortir de la légalité et opposer son corps au système

L’action principale de ce film est le sabotage et la destruction de lignes électriques par une activiste écologiste. Cette action suscite le questionnement suivant : doit-on sortir de la légalité et faire des actions violentes pour lutter contre le système ?

Beaucoup d’écologistes soutiennent les actions de désobéissance civile respectant le principe de la non violence (par exemple Action non-violente COP21, Ende Gelände) mais sont plus frileu.x.es sur la question de la violence. Dans ce débat, on entend violence citoyenne comme la destruction de biens matériels.

Pour les invitées de ce soir, la violence du système que tout le monde subit (racisme, sexisme, conditions de travail etc.) est omniprésente, et quand on veut y faire face par des moyens légaux (en utilisant les instruments de l’état) on se fait écraser. Comme le relève Florence, « Le pouvoir protège ses intérêts grâce à son cadre légal. Sortir de cette légalité est une chose importante pour lutter contre ce système, il FAUT s’interposer».Une autre personne du public déclare que «les structures au pouvoir nous ont endormis et maintenant on police nous-même nos modes d’actions».

Une réflexion faite est que Halla a littéralement opposé son corps au système en usant de celui-ci pour saboter les lignes électriques et ensuite en tentant de se cacher de la police à sa recherche. Si l’on synthétise cette pensée, on peut dire que c’est la pensée qui est opposée au système et c’est grâce à nos corps qu’on lutte (sabotage, occupation, manifestation) et que la répression s’abat. 

Nous nous sommes centrées ici autour de l’action directe, mais être militante c’est aussi travailler pour toutes les choses qui ne se voient pas en manifestation ou lors des actions mais qui font vivre le mouvement écologiste. Florence relève notamment que “toutes les personnes qui font de l’écriture, des  manifs et des actions “colibri”, toutes les formes d’action ont raisons d’être et font que le mouvement existe et le rend fort”. 

On peut finir ce compte rendu libre par une citation de Florence qui fait un parallèle entre le ski de randonnée et l’activisme (ce qui est loin de me déplaire) :

« L’activisme et la prison c’est comme le ski de randonnée et les avalanches, pendant qu’on fait le premier on n’a pas du tout envie que le deuxième arrive, mais finalement c’est un risque inhérent à la pratique alors on l’accepte ! »

Lucie

Merci à Ludivine, Michèle et Florence pour leur présence et leurs réponses à nos questions. Merci Lauriane et Sophie pour avoir construit et encadré ce débat.

Merci au canard huppé pour les relectures et les conseils.


  1. *
    Voltairine de Cleyre, De l’action directe, Mother earth, 1912. Lire en ligne: https://infokiosques.net/lire.php?id_article=640
  2. https://www.alpheratz.fr/linguistique/genre-neutre
  3. Prénoms d’emprunt
  4. §
    “Nous avons besoin d’une culture de résistance écologiste, libertaire, féministe, antiraciste, et c’est cette histoire que floraisons cherche à promouvoir.” https://floraisons.blog

1 réponse sur « Lutter contre quoi? Pourquoi et comment? éclairages sur l’activisme écologiste avec le film “Woman at War” »

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