Eco-lieux, zones à défendre, communautés résilientes, éco-quartiers, camps climat… La résistance s’organise face à une profonde remise en question de notre système thermo-industriel. Parmi ces modalités du vivre ensemble, l’un d’entre eux m’a particulièrement intrigué : celui de l’écovillage.
Dans cet article, il s’agira d’explorer le fonctionnement de l’écovillage de Sainte Camelle sur la base d’une expérience de quelques jours sur ma route de voyage. Un écovillage peut être défini comme une agglomération, généralement rurale, ayant une perspective d’autosuffisance reposant sur une reconnexion profonde de l’homme avec son environnement, dans un respect des écosystèmes présents (1). On en dénombre des dizaines en europe (2). En Ariège, au sud de Toulouse, celui de Sainte Camelle accueillait une vingtaine de curieux lors de ses portes ouvertes le 7 septembre dernier. Le but : faire découvrir son fonctionnement au public intéressé, dont je faisais partie.
Une vie en collectif
Après vingt-trois ans de vie en collectifs post-68, Dane et Alain ont eu l’ambition de fonder leur propre collectif afin de “retrouver le chemin du savoir-être et du savoir-faire en collectif” (3). La co-fondatrice du lieu aurait constaté l’individualisme croissant de nos sociétés occidentales, provoquant ainsi l’oubli des fondements de la vie en collectif, qui était le propre des sociétés traditionnelles. Cette idée consiste en une indépendance matérielle (chaque individu, couple ou famille habite dans son propre habitat autonome) tout en partageant la propriété des lieux collectifs. À Sainte Camelle, les habitats sont ainsi très rapprochés et les habitants partagent des espaces de vie communs, comme le terrain forestier, le potager, la forêt ou la cuisine collective en extérieur.
Pour incarner cette idéal à plusieurs, une “vision commune” leur semble primordial. Pour eux, il s’agit d’un réel équilibre entre travail de la terre (vers l’autosuffisance alimentaire et énergétique) et un épanouissement personnel et collectif. En effet, ce que l’on nomme “écologie intérieure” fait tout autant partie de la visée de Sainte Camelle : l’accomplissement et le bonheur de chaque individu leur est central, s’inscrivant ainsi dans une spiritualité personnalisée – sans dogme ni religion unique.
De plus, le collectif fonctionne en gouvernance horizontale avec la conviction que c’est avec un petit nombre d’individus que la vie en collectif s’avère profondément humaine et fonctionnelle : Sainte Camelle n’accueille pas plus de vingt-cinq habitants à l’année sur le lieu. Ils disposent d’un processus d’intégration à plusieurs étapes pour s’assurer que les motivations des nouveaux arrivants correspondent avec la vision du lieu. Les liens sociaux se veulent durables – contrairement à un autre laboratoire du vivre ensemble, la ZAD de la forêt de Hambach (4) – et les plus sains possible. Un autre souhait est celui de l’intergénérationnalité afin de créer une synergie entre générations, car selon eux : “la diversité est au service d’une vision commune !” (3). Le terrain grand de dix-huit hectares reste ouvert à tout type de profils aux diverses compétences pour réfléchir à de nouvelles activités pensées sur le long terme.
Cohabiter avec des individus partageant les mêmes valeurs et le même idéal de vie amène à une micro-société où travail, sommeil et loisirs se trouvent sur le même lieu. Dès lors, les membres s’ancrent dans la vie quotidienne du lieu et ont moins de nécessité à sortir occasionnellement ou se connecter via internet.
Une application concrète des alternatives
Sur le lieu, on retrouve une cuisine collective en plein air avec un mode de cuisson à la plancha. Le chauffage au bois représente la source d’énergie de chauffage primaire, ce qui produit une quantité importante de cendres qui sont réutilisées pour le jardin et pour la lessive. Les douches sont chauffées par un astucieux chauffe-eau solaire (voir photo ci-dessous) composé d’un tuyau noir, d’une couverture de survie et d’une vitre ; ce qui permet un écoulement d’eau chaude en continu (pour autant que le soleil fournit une chaleur suffisante).
L’écovillage obtient la plupart de son matériel par la récupération grâce à l’entretien d’accords avec certaines entreprises locales (scierie, miroiterie) qui leur fournissent leurs invendus. Par exemple, l’huile de cuisson des restaurants leur sert de carburant pour les tracteurs. Ces liens de réciprocité permettent au lieu de s’ancrer dans le paysage local, de tisser des liens en comptant sur la solidarité également à l’extérieur du lieu.
L’amour en action
Si les membres perçoivent 800 euros mensuels pour leur travail sur le lieu (travaux d’entretien), le bien-être et la volonté de chaque individu prime sur l’obligation formelle. Dès le matin, après une méditation et une chanson, les membres se retrouvent pour gérer leur grande maison commune. Et tout activité productive doit être porteuse de sens : c’est leur application concrète de l’amour-action, l’amour dans le travail. Par exemple, Jeanine est en charge du ménage dans les lieux collectifs, et explique avec le sourire qu’elle fait le ménage en pensant à la personne qui va arriver et profiter du lieu bien en état ; c’est cela qui lui plaît. Le travail ne doit pas être perçu comme une corvée. Un membre disait notamment : « Si tu sens que tu as envie de travailler, c’est avec grand plaisir, autrement tu peux t’arrêter et vivre ta fin de journée ». À côté, les membres du collectifs exercent leur profession généralement sur le lieu en tant qu’indépendant (cours de shiatsu ou prise en charge du jardin en permaculture par exemple). Ainsi, si Sainte Camelle ne dispose pas de lois strictes (à l’image d’une société à l’échelle d’un Etat), elle conserve l’idée d’un échange économique : tout travail perçoit un salaire, que ce soit leur travail pour la vie collective ou sa propre activité professionnelle.
En somme, l’écovillage vu au travers de Sainte Camelle représente un moyen alternatif de construire une micro-société fondée sur le respect et le bien-être du vivant. Si elle n’a pas forcément de portée contestataire ou politique, elle permet néanmoins à de nouveaux systèmes d’émerger et peut-être faire figure d’inspiration pour l’autosuffisance et la sérénité intérieure. Sainte Camelle fait le choix de s’ouvrir au public et de représenter un lieu d’inspiration aux alternatives concrètes sur le plan de l’autonomie alimentaire et énergétique ainsi que du bien-être et de l’épanouissement personnel. Ainsi, le lieu vise à replacer l’humain plus proche de son environnement et souhaite incarner une vision inspirante et alternative aux citadin.es en quête de sens.
Caroline Lot
Photos : Bruant Perrinjaquet
Merci à Boris, Dane et Alain pour leur accueil et leur ouverture.
L’écovillage de Sainte-Camelle propose notamment un stage de résilience individuelle et collective pour les 18-35 ans en juillet prochain et sont également ouvert à l’intégration de nouveaux membres. Pour en savoir plus : https://ecovillagestecamelle.fr/
- (1) Wikipedia, “Écovillage”, <https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89covillage>, 28.09.2019
- (2) Ecovillages Europe, <https://eco-villages.eu/>, 30.09.2019
- (3) Dane et Alain, “7 incontournables pour réussir une vie collective harmonieuse”, 2018
- (4) Masson, Lauriane, “Visions d’un séjour dans une zone à défendre”, <https://dev2.unipoly.ch/2019/04/07/visions-zone-a-defendre/>, 30.09.2019