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Reportage Société

J’interroge mes voisins sur leur rapport à l’écologie – Episode III

Rappel

Les prénoms sont des prénoms d’emprunt.

Les questions posées sont les suivantes :

  • Quel est votre rapport à l’écologie?
  • Quand est-ce qu’une conscience écologique a émergé pour la première fois chez vous? Y a-t-il eu un événement marquant?
  • Quels gestes écologiques accomplissez-vous au niveau personnel, quelles mesures prenez-vous?
  • Comment vous positionnez-vous par rapport à la question de l’avion?
  • Etes-vous satisfaite de votre comportement en matière d’écologie, ou pensez-vous que vous devriez en faire plus? Pourquoi ? Qu’est-ce qui pourrait vous motiver à en faire plus?
  • Avez-vous le sentiment que nous sommes face à une urgence concernant le changement climatique? En êtes-vous inquiet·ète?
  • Pensez-vous que nous avons des chances d’inverser la tendance avant qu’il ne soit trop tard? Si oui, comment? Quelles mesures prendre?
  • Le système politique suisse actuel est-il à la hauteur de l’enjeu? Et le capitalisme?
  • Connaissez-vous le mouvement de la grève du climat? Pensez-vous qu’il a des chances d’avoir un impact? Avez-vous pris part aux manifestations qu’il a organisées ou non? Pourquoi?
  • Que pensez-vous de la désobéissance civile ? Vous verriez-vous employer ce registre d’action?

Pour plus de détails sur la méthodologie, voir l’épisode I.

Troisième entretien

Catherine, 60 ans, employée d’administration / de commerce

Jacques, 66 ans, retraité, travaillait dans les assurances

Sont parents de deux enfants adultes, et grands-parents.

Jacques et Catherine étaient membres du Parti radical-démocratique, mais se sont retirés de ce parti après sa fusion avec le Parti libéral suisse, trouvant le PLR trop à droite. Jacques s’estime au centre. Le seul parti qui pourrait lui correspondre, dit-il, est le PDC, mais Jacques se déclare contre le mélange de la politique et de la religion.


Jacques a été syndic de notre village durant plusieurs années. Je suis donc très curieuse de découvrir son avis sur l’écologie, sur lequel je peux d’autant moins faire d’hypothèses que je ne sais pas, au moment où l’entretien commence, de quel parti il est ou était membre. Par ailleurs, tandis que je ne connais Jacques presque que de vue, j’ai parlé plusieurs fois avec Catherine, extrêmement gentille, qui s’occupe de notre chat lorsque nous partons en vacances. Chez eux aussi, l’accueil est très chaleureux.


Jacques décrit ainsi leur rapport à l’écologie: « Faire attention de faire le plus possible pour protéger nos biens, la planète, avec nos moyens et nos possibilités. » Selon lui iels ont depuis toujours respecté leur région et leur terre, et il ajoute: « J’ai un certain respect de mes citoyens mais aussi des biens que sont la nature et autres. » Catherine nuance cette analyse en soulignant qu’iels prennent plus conscience du « problème » depuis que celui-ci est davantage à l’ordre du jour dans les médias (tous deux s’accorderont plus tard à dire que le fait d’être grand parents les conscientise également), ce à quoi Jacques rétorque « J’estime pas avoir changé d’attitude, j’estime pas avoir surconsommé. [..] On a un certain respect depuis un bon moment, moi j’estime qu’il y en a qui n’en n’ont pas du tout. » Il enchaîne sur la difficulté de faire face à l’enjeu au niveau mondial: « On veut essayer de nous taxer, on veut essayer de nous faire un certain coût pour nous en Suisse, mais on a les pays de l’Est, les américains, la Chine, ils font comme ils veulent. Et si on s’y met pas tous on n’arrivera pas à avoir des résultats qui sont concrets. » Ceci l’amène à exprimer son adhésion à l’idée d’une Suisse membre de l’Union européenne: « Il faut accepter qu’une certaine autonomie suisse on la perd, mais que si on la perd ce sera gagné pour tout le monde. […] Il faut être raisonnable quoi. Comme il faut être raisonnable au niveau de la planète. »

Pour ce qui est des mesures qu’ils prennent concrètement, Catherine et Jacques me citent le covoiturage, et le fait de ne pas utiliser d’engrais pour le jardin, ainsi que de faire attention à l’eau et l’électricité. Jacques explique aussi qu’ils hésitent à installer du photovoltaïque, et qu’iels ont fait cet hiver une thermographie de la maison et changeront certainement leurs fenêtres afin de moins consommer. Enfin, Catherine souligne qu’ils mangent « presque tout local », et Jacques ajoute qu’iels mangent ces dernières années moins de viande rouge qu’avant (choix qui a été fait en partie pour des raisons de santé).

« Je me contente de vacances en Suisse, notre pays est sensationnel. »

Lorsque je les interroge au sujet de l’avion, Jacques et Catherine m’expliquent l’avoir pris très peu, quelque chose comme une fois tous les dix ans, et ne pas du tout en ressentir le manque. « Je me contente de vacances en Suisse, notre pays est sensationnel. » dit Jacques, qui ajoute lorsque j’évoque les îles exotiques: « Les îles non – je me dis que je suis bien au bord du lac chez nous. On a des plages ici si on veut aller à la plage. » Catherine déclare quant à elle: « Ca nous manque pas de pas prendre l’avion parce que voilà, on n’est pas des voyageurs. Après moi je jette pas la pierre à ceux qui ont envie d’aller faire leurs vacances. »

Catherine et Jacques estiment qu’iels pourraient faire davantage pour l’environnement. Jacques évoque tout d’abord la question des limites financières mais dit également: « Si tout le monde se disait qu’il peut faire mieux, je pense qu’on serait déjà à un bon pourcent d’amélioration ». « Bien sûr qu’on peut faire plus » dit ensuite Catherine, qui avance par exemple l’idée d’acheter en vrac. Elle m’explique ensuite ne pas avoir franchi ce pas en raison du « côté pratique » : « Je vais faire mes courses là au village ben je prends ce qu’il y a. » Jacques renchérit: « Prenons la marchandise en vrac, faut qu’il y ait l’offre aussi. […] Moi je serais pour qu’il y ait plus de magasins comme La Ferme à Yverdon. Mais il y a pas tout à fait la demande. »

Quand je leur demande s’ils pensent que nous sommes face à une urgence, Catherine et Jacques répondent par l’affirmative. En revanche, Jacques ne se dit pas inquiet: « Je crois que vous allez très bien réagir. Les premiers vous et puis après nos petits enfants. […] Faut faire confiance aux générations, pour qu’elles deviennent raisonnables. Parce que si on se fait plus confiance c’est inutile, ce sera foutu. » Catherine va dans son sens: « On est conscients. Inquiétude c’est peut-être un grand mot. »

« Je deviens peut-être plus aigri avec le monde politique avec les années, en ayant pratiqué et vu ce qui se fait. »

Jacques dit ne pas penser que le système politique suisse est à la hauteur de l’enjeu climatique. Riche de son expérience politique, il développe souvent, au cours de l’entretien, des réflexions sur le sujet. Il se dit notamment déçu par « le monde écologiste comme on l’a au niveau politique », auquel il reproche de beaucoup théoriser mais d’agir peu, mais nuance plus tard en évoquant la difficulté de trouver des « solutions idéales », et en rappelant l’échelle du problème: « Il faut tenir compte du fait qu’on n’est pas que les suisses sur cette planète ». Plus tard, il se remémore l’importance de « trouver le juste milieu » en politique: « Il faut être à l’écoute, il faut être souple, il faut de temps en temps perdre un peu pour gagner après… » Il dira toutefois, plusieurs minutes après, apprécier la manière de faire d’Ignazio Cassis: « Il fait des trucs, il y va il avance. Et puis ils lui tapent sur les doigts après. Mais il avance. Voilà. On n’en a pas assez comme ça. Trop de recherche de consensus. » Catherine et Jacques divergent quant à la confiance accordée au politiciens, comme le résume Jacques: « Je deviens peut-être plus aigri avec le monde politique avec les années, en ayant pratiqué et vu ce qui se fait – mon épouse est pas du même avis ». En effet, il a l’impression que les politiciens « pensent à leur carrière plutôt qu’à nous » : « Ils ont plein de bonnes intentions au début d’une législature, et puis sur la fin ils prennent plus les décisions qui vont les faire réélire que la décision qui serait peut-être la bonne. »

Pour ce qui est des idées de mesures, politiques ou autres, Jacques dit être contre la création de « trop d’interdictions », car selon lui « quand on crée une interdiction on fait un blocage et puis ça fait effet contraire ». Il évoque aussi le désintérêt des citoyens pour la politique: « Les gens sont déçus. Comme moi je le suis. Mais je vote par contre. J’estime qu’il faut quand-même faire ce minimum. »

« Je suis plutôt capitaliste que communiste. »

J’en viens à demander à Catherine et Jacques s’iels pensent que le capitalisme, est un système viable quant aux enjeux environnementaux. Catherine dit ne pas savoir, et Jacques répond: « Si on n’a pas de capitaux, on n’arrivera pas à faire ce qu’on doit faire sur la planète.  Je crois qu’il faudrait pas tout remettre à la politique, il faudrait pas tout remettre aux partis et autres, ça serait dangereux. Des fois une bonne dictature amène des avantages, mais pas toujours. […] Il faudrait quand-même un monde industriel et d’entreprises indépendantes, et leur donner les moyens et les directives pour qu’ils aient un respect de la planète. » Déclarant être « plutôt capitaliste que communiste », il dit ne pas croire au système de l’URSS: « Je pense pas que la planète irait mieux. »

Nous passons finalement à la question de la Grève du Climat. « Si on en parle c’est qu’il y a eu un impact », dit Jacques, et Catherine approuve en soulignant que ce mouvement sensibilise les gens. Jacques ajoute: « Il faut qu’ils restent après dans une démarche constructive. […] Descendre dans la rue et tenir la pancarte tout le monde peut le faire mais il faut s’asseoir autour de la table et discuter, alors j’espère qu’ils iront jusque-là, j’espère qu’on acceptera de discuter avec eux. » Quant à savoir s’iels iraient manifester, tous deux s’accordent à dire que ce mode d’action n’est pas dans leur nature, mais que cela ne signifie pas qu’ils ne soutiennent pas le mouvement.

« Moi j’ai un respect du bien publique et du bien privé. »

Concernant la désobéissance civile par contre, Jacques est assez catégorique: « Je le ferais pas et puis du reste ça m’énerve de voir les spécistes par exemple [ndlr: il veut parler des antispécistes], dans des entreprises privées, je trouve ça pas normal. » Il me demande comment sont choisis les privés visés: « C’est aléatoire, parce qu’en définitive une banque est-ce qu’il y en a une meilleure dans ses fonctionnements actuellement? Elles sont toutes dans un but économique ; est-ce que ça mérite plus d’aller au Crédit Suisse qu’à la BCV qu’à l’UBS ou ailleurs? » Puis il conclut : « Moi j’ai un respect du bien publique et du bien privé. » Catherine quant à elle commence par souligner qu’elle s’oppose à toute forme de déprédation, puis quand j’insiste sur l’idée d’actions exclusivement pacifiques, sans dégâts – « Ca existe? » demande Jacques -, elle prend l’exemple récent de tags lors d’une action aux Retraites Populaires à Lausanne, pour illustrer le fait que selon elle lors d’actions de désobéissance civile « il y aura toujours un groupe qui va profiter pour faire des dégâts ». Je relance la question en faisant l’hypothèse d’un monde sans casseurs et Catherine me répond que c’est le fait d’aller chez des privés qui la gêne, puis ajoute: « Non mais ils peuvent aller dans le hall d’une banque ou d’une assurance, s’ils remplissent le hall ils sont dans un lieu public, les gens peuvent y aller, y a aucun problème. » Jacques enfin, rebondissant sur l’évocation de la dimension médiatique des actions de désobéissance civile, insiste sur l’importance pour les groupes d’activistes de, selon lui, « faire attention aux médias ». « J’estime que c’est un pouvoir qui est dangereux […] c’est un pouvoir comme le judiciaire et le politique, ils font la pluie et le beau temps d’un parti ou d’un autre, ils ont un impact beaucoup trop important ».


Cet entretien s’est démarqué par le partage par Jacques non seulement de ses réflexions politiques, mais aussi de son expérience pratique du domaine. J’ai trouvé particulièrement intéressant le fait qu’il ait une vision politique très personnelle, comme en témoigne notamment le fait qu’il ne se reconnaît plus dans aucun des partis suisses.

L.

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