Catégories
Analyse Politiques

La grève du climat et ses contradictions (apparentes)

Vendredi dernier se déroulait dans plus de 120 pays et 2 000 villes du monde la grève pour le climat, inspirée de l’initiative de la jeune suédoise Greta Thunberg qui, depuis août dernier et à la suite des vagues de chaleur de l’été, sèche les cours pour exiger de la classe politique des mesures concrètes face à l’urgence climatique.

À Lausanne, entre 10 000 et 15 000 personnes ont défilé dans les rues à cette occasion, en hausse par rapport aux derniers rassemblements. Majoritairement composée de jeunes étant donné l’origine du mouvement, la foule accueillait également des parents et grands-parents venus en soutien. L’ambiance, assez festive, contrastait avec les banderoles et panneaux brandis rappelant gravement l’enjeu mais traduisait bien la volonté et l’espoir de peser pour la construction d’un avenir serein.

« Changez-vous d’abord et on verra ensuite »

L’événement, couvert par de nombreux médias, a reçu un écho important et un traitement relativement bienveillant comme en témoignent cet article du Temps ou celui plus factuel de 24 heures — bien que la désobéissance civile y soit caractérisée de “fausses notes” mais ceci est un autre débat — tandis que 20 minutes a pris un malin plaisir à donner du crédit aux arguments iniques des détracteurs du mouvement qui nous rabâchent cet éternel « changez-vous d’abord et on verra ensuite », par exemple lors de la récente publication d’une photo avec Greta Thunberg mangeant dans le train des produits emballés sous plastique.

Je m’inscris en faux contre cette exigence d’exemplarité qui est une imposture. En effet, ce mouvement est composé d’une grande diversité de personnes de profils, d’âges et donc d’expériences différents et qui n’ont par conséquent ni le même niveau de prise de conscience, ni le même niveau d’engagement personnel. En revanche — et c’est ça qui est important — toutes ces personnes sont d’accord et se réunissent pour exiger communément que les choses changent rapidement afin de nous garantir un environnement vivable à moyen terme mais aussi pour les générations futures, et ce en intégrant la notion de justice climatique qui signifie que les entreprises conscientes du risque de réchauffement mais qui ont néanmoins continué leurs activités émettrices de gaz à effet de serre paient pour leur inaction coupable. Tout le monde ne réalise peut-être pas ce qu’implique la neutralité carbone nette en 2030 et comment on y parvient, mais cette revendication témoigne d’une volonté forte d’arrêter de sacrifier l’avenir pour le présent et l’attente de mesures concrètes, elle traduit un « on est prêt » pour les changements nécessaires à la conservation des conditions de vie quels qu’ils soient.

S’il fallait attendre que nos actions individuelles s’alignent toutes sur une trajectoire juste par notre bonne volonté, la politique n’existerait pas.

Bref, pour en revenir à l’exemplarité : qui est exemplaire ? À quel moment consent-on assez d’efforts pour être exemplaire ? Cette notion est totalement subjective et rate en réalité l’enjeu qui est la transformation collective de notre manière de vivre. En effet, nous avons tous une histoire différente, une sensibilité différente, nous ne recevons pas tous les mêmes informations, les mêmes signaux et même s’il était du ressort de notre responsabilité individuelle de s’informer sur les pratiques opaques de chaque entreprise, il faudrait déjà que des médias d’investigation enquêtent sur chaque entreprise et que nous nous informions sur chacune d’entre elles avant de leur acheter ou de leur vendre quelque chose, ce qui commence à être possible avec des applications comme BuyOrNot mais qui, en plus d’être chronophage, fait reposer toute la responsabilité sur les consommateurs au lieu d’imposer aux entreprises d’avoir des pratiques justes et durables. Par ailleurs, quiconque veut changer ses habitudes se heurte à de nombreuses autres contraintes dues à notre interdépendance majeure. On peut vouloir être zéro déchets mais en l’absence de législation, les magasins proposant ce genre d’initiative sont rares et trop chers. On peut vouloir ne plus prendre l’avion mais le train est beaucoup plus cher. On peut vouloir acheter des appareils résistants au temps et fabriqués avec des matériaux respectueux des travailleurs et de l’environnement mais ils n’existent pas — si tant est que ce soit possible. Ajoutons à ça le fait qu’en se privant des biens et des produits peu chers mis à disposition par notre formidable système productiviste, les personnes qui ne le font pas ont un certain avantage en comparaison — ce qui n’est pas juste — et on a déjà là un bel aperçu des multiples freins structurels, économiques et sociaux qui expliquent un engagement personnel différent entre les individus. S’il fallait attendre que nos actions individuelles s’alignent toutes sur une trajectoire juste par notre bonne volonté, la politique n’existerait pas.

Attention, je ne dis pas que lier nos paroles à des actes n’est pas important mais qu’il est normal que chacun le fasse à un rythme différent car chacun a une conscience différente des enjeux et une capacité différente de changement, surtout avec la pression sociale que l’on peut subir de nos proches ou d’autres mais aussi avec cet autre média plus insidieux qu’est la publicité. L’éducation est aussi un point que je n’ai pas abordé mais il faut bien se rendre compte que ces grévistes qui vont au McDo, à Starbucks et à H&M selon 20 minutes sont des jeunes qui n’ont pas encore forcément le recul nécessaire pour voir en quoi ces entreprises posent réellement problème et ce n’est pas quelque chose que l’on enseigne à l’école ou alors mal contextualisé — pour ma part, j’ai eu un déclic à 18 ans grâce à une professeure d’anglais qui nous avait montré une vidéo sur les conséquences du consumérisme mais ma prise de conscience globale a été longue et mes changements de comportement tardifs. De toute façon, le plus important reste de faire en sorte que ces changements de nos modes de vie soient mis en place à grande échelle sinon l’impact sera faible, d’où l’importance d’un engagement politique. En plus, le mouvement incite et encourage certaines personnes à changer comme le rapporte Le Temps :

“Depuis que j’ai commencé à manifester, j’ai arrêté de jeter mes mégots par terre, je prends la voiture le moins possible.”

Pour conclure, je dirais que l’essentiel, c’est la détermination et l’objectif. Tout comme le mouvement des Gilets Jaunes en France qui n’est pas uniforme, on trouve dans ce mouvement différentes sensibilités politiques, des verts libéraux aux anticapitalistes, et aussi beaucoup de personnes non ou récemment politisés étant donné la nature jeune du mouvement. Il y a aussi très probablement un large spectre d’opinions au niveau de la mise en place concrète de mesures, le mouvement regroupant autant des personnes partisanes de l’accroissance que celles confiantes en l’innovation technologique. C’est à la fois une force car il est conscient qu’une remise en cause du fonctionnement actuel dérégulé de notre système capitaliste et libéral, qui n’a que faire des questions écologiques et environnementales, est peut-être nécessaire ce qui est une belle avancée au regard de l’histoire du mouvement écologiste, comme le rappelle Le Temps. En revanche, la question de l’idéal politique que l’on vise et la transition écologique que l’on souhaite devra être abordée à un moment ou un autre et si on veut avoir toutes les chances d’aboutir à un choix éduqué et intelligent, il faudrait déjà que les médias comme 20 minutes participent à nous fournir des éléments de réflexion pertinents pour un débat sur le système politique le plus adapté aux enjeux de notre époque, plutôt que d’abrutir les esprits avec des articles au titre racoleur qui ne profitent justement qu’aux annonceurs de ce système annihilant et destructeur.

Louis Rouquette

1 réponse sur « La grève du climat et ses contradictions (apparentes) »

C’est beau et c’est encourageant de voir que les jeunes prennent à coeur les problèmes écologiques.

Le fait qu’ils ne soient pas en tout point exemplaires n’est pas une excuse pour ne pas entendre leur message.

Mais ils mettent en évidence ce qui selon moi est le véritable problème avec l’écologie. De nos jours, nous savons tous que la situation climatique se dégrade à un tel point qu’on ne devrait plus ignorer cette facette du monde.

Mais chacun se trouve des excuses et rejette la faute sur l’autre. « Je pourrais moins utiliser la voiture, mais mon village est mal desservi par les transports publiques, ce sont plutôt les gens de la ville qui doivent y renoncer » « Je voudrai bien acheter bio, mais c’est trop cher, laissons ça aux riches » Il faudrait consommer de saison, mais on trouve des fraises en février dans les supermarchés, à quoi ça va servir de les laisser perdre? » « Je veux bien faire des efforts, mais le gros de la pollution est lié aux activités industrielles, les entreprises doivent prendre leurs responsabilites ».

On a toujours une bonne excuse, on trouve toujours un voisin qui fait pire. Au final ces mauvais exemples sont autant d’excuses pour se conforter dans sa propre inaction.

De l’autre côtés les grands acteurs économiques ne voient pas nécessairement l’intérêt de changer leur manière de faire non plus (révision de la chaîne de production et limitation des déchets par exemple), car ces actions entraînent des coûts, et on ne constate pas une réelle envie de changement dans le comportement des consommateurs.

Au final le problème est là: chacun pense qu’un changement est nécessaire, sans croire qu’il doit debuter par soi même.

Malheureusement ces jeunes, avec toutes leurs bonnes intentions, reproduisent exactement ce schéma. Ils veulent inciter les autres aux changement en gardant leurs habitudes. C’est précisément dans cet état d’esprit que rien n’a réellement été entrepris pour l écologie durant des décennies de remise en questions.

C’est totalement hypocrite de notre par de pointer ces jeunes du doigt dans leur incohérence. Si seulement leur énergie pouvait servir à nous inciter à tous nous remettre sincèrement en question! Ils doivent réussir là où les autres générations ont échoué. C’est ambitieux mais j’ai tellement envie d’y croire !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *