En l’occasion de la journée internationale des travailleur·euse·s du 1er mai, SUD étudiant·e·s et précaires invite les personnes en formation à se mobiliser dans la rue. Dans leur tract rédigé en l’occasion*, le syndicat insiste sur la question de la reproduction de force de travail inhérente à la formation. Étant donné qu’études, stages et apprentissages riment avec travail, cette journée de lutte nous appartient aussi.
Pourquoi inclure les personnes en formation?
Inclure la formation et les études dans la lutte pour les meilleures conditions de travail vient d’un constat que de nombreuses activités non salariées et non rémunérées restent essentielles au bon fonctionnement d’une société. Par exemple, les secteurs du care (faire le ménage, s’occuper d’enfants) et associatif (faire du bénévolat, s’investir dans un collectif militant ou un syndicat) contribuent à la reproduction de la force de travail†, mais sont principalement basées sur le bénévolat.
De la même manière, sans formation ni apprentissage, il n’y aurait pas de personnes qualifiées pour travailler. En ce sens, se former permet de renouveler la main-d’œuvre globale et participe à la reproduction de la force de travail.
Donc, au-delà de garantir à des individus des conditions de vie sécurisées, il y a une véritable légitimité dans la progression des droits des personnes en formations car ces dernières sont des futures travailleuses.
Trois revendications
Trois revendications sont mises en exergue dans le cadre de cette manifestation.
Premièrement, indexation intégrale et automatique des prestations sociales (bourses, PC, RI, AI, etc.). Ces parts de salaire socialisées devraient correspondre au minimum vital pour vivre dans le canton. Si elles ne sont pas indexées à l’inflation, la valeur réelle de ces prestations viendraient à baisser potentiellement en dessous du minimum vital. L’indexation automatique garantit un ajustement qui prévient l’impact social oppressif de l’inflation.
Deuxièmement, un salaire minimum pour les stagiaires et les apprenti·e·s Vaudois·e·s. Actuellement, l’origine des revenus permettant de vivre en formation est souvent plurielle : famille, État, petits boulots. Toutes peuvent présenter des difficultés. Concernant la famille: il faudrait que cette dernière soit assez riche pour se permettre de financer la formation, mais dans ce cas, on procure à la famille un statut d’autorité exerçant des pressions sur la voie professionnelle et les choix de vie de la personne concernée. L’État peut fournir des aides comme la bourse, l’assurance invalidité ou le revenu d’insertion. Cependant, les catégories d’octroi sont restreintes et il est parfois difficile de faire valoir son droit à une prestation sociale. De plus, la complexité bureaucratique forme une barrière. En dernier recours, les petits boulots pour combler les manquements mènent à des charges mentales et physiques considérables, peuvent générer des accidents comme le burn-out et favorisent donc l’échec. Ces revenus représentent un salaire, car concernent, comme argumenté plus haut, directement le monde du travail. Ainsi, dans la lignée des avancées sociales dans certains cantons concernant un salaire minimum, nous devons demander des lois qui protègent nos salaires en apprentissage et en stage. Puisqu’il est possible de fixer un salaire minimum, nous exigeons ce qui est juste, un droit universel au salaire pour toute personne entreprenant une formation.
Et dernièrement, l’octroi automatique des prestations sociales. Au-delà du montant de nos salaires socialisés, il y a aussi le problème de l’accessibilité aux prestations sociales. On peut lutter pour élargir les catégories de personnes ayant droit à ces prestations: statut d’indépendant pour les boursiers, nombre d’années d’étude maximale autorisé, niveau de formation équivalent pour les reconversions professionnelles, etc. De plus, il faudrait faciliter l’accès aux aides. Aujourd’hui, une part considérable des ayants droit ne perçoivent pas les prestations sociales dont ils pourraient bénéficier. Pourtant, l’Etat dispose de toutes les informations nécessaires pour déterminer automatiquement qui a le droit ou non à une prestation sociale à partir des déclarations d’impôt. C’est une stratégie consciente visant à réduire les dépenses publiques. Pourtant, l’octroi représenterait des économies énormes de travail administratif pour le Canton et nous sortirait grand nombre de la misère.
Solidarité plus générale avec le monde du travail
La mobilisation s’inscrit aussi dans un autre sens. Nos intérêts sont inséparables des travailleur.xeuses et des retraité.xes, et il est cohérent de se montrer solidaires. En effet, la majorité des prestations sociales (AI, RI, PC, etc.) recouvrent des parcours de vie au-delà de la formation. De plus, entre les reconversions professionnelles et les logiques de formation continue imposées par les transformations du monde du travail, les aller-retours entre le marché du travail et la formation se trouvent encore plus courants. La lutte étudiante s’inscrit dans un souhait que les parts de salaires socialisés soient plus valorisantes, par des montants revus à la hausse et qu’ils soient plus libres, c’est-à-dire moins soumis au contrôle et le moins dépendants de justifications liées à une activité particulière.
Dans ce sens, la retraite représente aussi un salaire socialisé. Outre le fait que les personnes retraitées restent actives (par exemple le travail de garde des enfants souvent relégué aux grands-parents), la question des retraites présente un enjeu de classe. En opposition au discours médiatique qui divise les générations autour du financement des retraites, l’analyse des résultats de la dernière votation du 3 mars sur l’AVS démontre par les faits qu’il s’agit d’un vote de classe : les gens avec les plus bas revenus ont voté pour la 13ème rente. Nous, les personnes en formation, devons accompagner cette mobilisation autour de la 13ème rente et la mettre en perspective avec nos préoccupations: ce sont aussi nos retraites !
Soutien d’On a les crocs et Unipoly
Le comité Unitaire On a les crocs (Unipoly, Amnesty HEL, la NoCAP et du syndicat Sud-EP, aussi soutenu par la Grève féministe UNIL, le syndicat SSP-Vaud, l’AJE, Acidul, PlanQueer, Clash et le Groupe Regards critiques) agissant sur le campus universitaire de l’UNIL, soutient la mobilisation autour du 1er mai.
Il se concentre sur l’alimentation car il rappelle que manger n’est pas un choix, mais un besoin primaire. Réduire le prix des repas sur le campus est une mesure qui profite à tous·xtes sans distinction, sans tri bureaucratique entre précaires illégitimes et légitimes à recevoir des aides et présente un objectif ciblé et atteignable. Tabler sur la réduction du prix des repas à 3 chf, c’est donc rendre l’université un peu plus accessible et supportable financièrement car l’alimentation représente une part importante du budget pour les étudiant·xes précaires.‡
En outre, On a les crocs revendique une internalisation des cafétérias pour répondre à la nécessité structurelle de l’internalisation qui peut garantir des menus accessibles sans compromettre leur qualité pour répondre aux injonctions économiques. Les fluctuations du marché n’influenceraient plus les prix des repas, comme cela est le cas à l’Université de Fribourg ou l’EPFL où les prix ont augmenté à cause de l’inflation.§ Cela préviendrait aussi la détérioration risquée des conditions de travail liée à la privatisation, ce qui rejoint une solidarité avec le monde du travail général.
Finalement OALC est soutenue par Unipoly, engagée dans la question écologique. Nous insistons sur l’indissociabilité entre les enjeux écologiques et sociaux. Les campagnes alimentaires d’Unipoly (OALC¶ et Plant-Based Universities#) sur les campus UNIL-EPFL revendiquent une végétalisation de l’alimentation** pour limiter les dégâts environnementaux liés à l’alimentation, mais cadre cette question dans une écologie décoloniale et consciente des enjeux de classes sociales††. Une alimentation responsable de qualité doit être financièrement accessible. Sans cela, la vertu écologique reste restreinte à une élite économique, dans une dynamique classiste, individualisante et en conséquence inefficace.
D’autre part, les produits d’origine animale reposent sur une exploitation coloniale et généralement oppressive. L’agro-industrie globalisée participe à la dépossession des terres de communautés locales dans les pays du Sud global.‡‡ Dans les abattoirs, les travailleur·eus·xes précaires, souvent issues de l’immigration, souffrent de troubles physiques et psychologiques à cause des conditions, des cadences de travail et l’exposition à la violence de l’abattage.§§ L’image pittoresque du pâturage suisse ne doit pas nous détourner des impacts et de ce que représente l’industrie carnée: un business capitaliste intensif qui exploite cruellement une immensité de personnes dont les travailleur.xeuses humain.xes.
Il est de notre responsabilité et de notre ressort d’agir pour une justice climatique intrinsèquement liée aux questions sociales et décoloniales.
Conclusion
C’est donc pour cela que nous invitons nos lecteur.xices, qui partage une partie des analyses et revendications de SUD-EP (dont la version complète peut se trouver ici) de les porter en rejoignant le bloc étudiant dans le tronçon populaire et syndical du le cortège du 1er mai 2024 à Lausanne, dès 17h à la Place de la Riponne. C’est par la mobilisation que nous arriverons à défendre et à étendre nos droits et favoriser une justice sociale inclusive et écologique comme prônée à Unipoly.
Crédit Image: Gustave Deghilage, Cortège du 1er mai à Lausanne – May Day, 2017 CC BY-NC-ND 2.0 Deed
- *SUD-EP. “Nous sommes des travailleuses et travailleurs en formation !” 22 Avril 2024, https://www.sud-ep.ch/nous-sommes-des-travailleuses-et-travailleurs-en-formation/. Accessed 29 April 2024.
- †Du point de vue marxiste, la force de travail est ce que possède la personne travailleuse (force bras, jambes et tête) qui est exploitée par un patron (en échange d’un salaire). Elle est transformée en marchandise dans l’économie capitaliste et correspond donc à un prix (le salaire) pour permettre de la reproduire, c’est-à-dire pour que la personne travailleuse soit apte à continuer de travailler dans des conditions appropriées.
- ‡Pour un exposé sur la précarité actuelle et les liens avec l’alimentation à l’université voir l’article d’Esma Boudemagh : “Cafétérias à l’UNIL : « Des repas à 3 francs, ça me change la vie. ».” Le Canard Huppé, 12 February 2024, https://journal.unipoly.ch/2024/02/12/cafeterias-a-lunil-des-repas-a-3-francs-moi-ca-me-change-litteralement-la-vie/.
- §“La rentrée universitaire à Fribourg marquée par l’inflation et les effets du Covid.” RTS, 19 September 2022, https://www.rts.ch/info/regions/fribourg/13397694-la-rentree-universitaire-a-fribourg-marquee-par-linflation-et-les-effets-du-covid.html. Accessed 29 April 2024.
- ¶Campagne On A Les Crocs à l’UNIL: https://linktr.ee/on_a_les_crocs
- #Campagne Plant-Based Universities à l’EPFL: https://linktr.ee/plantbasedepfl
- **J. Poore, T. Nemecek, Reducing food’s environmental impacts through producers and consumers.Science360,987-992(2018).DOI:10.1126/science.aaq0216
- ††Renard. Titouan: “Écologie et luttes sociales : fin du monde, fin du mois, mêmes coupables, même combat” Le Canard Huppé, 27 Octobre 2019, https://journal.unipoly.ch/2019/10/27/ecologie-et-luttes-sociales-fin-du-monde-fin-du-mois-memes-coupables-meme-combat/
- ‡‡Wasley, Andrew. “’This land belonged to us’: Nestlé supply chain linked to disputed Indigenous territory.” The Guardian, 22 September 2022, https://www.theguardian.com/environment/2022/sep/22/this-land-belonged-to-us-nestle-supply-chain-linked-to-disputed-indigenous-territory.
- §§Mokiejewski, Olivia. Le peuple des abattoirs. Grasset & Fasquelle, 2017.