Catégories
Billet Campus Politiques

De quoi Campus Express est le nom?

L’effort de promotion déployé par l’EPFL autour du renouveau de ses services de restauration révèle une volonté de se présenter en tant que modèle du futur que l’école aimerait nous faire désirer.

Reste à savoir de quel futur parle-t-on.

L’annonce du projet Campus Express et l’idéologie qu’elle trahit devraient nous interroger à ce sujet.

Le 20 mai 2022 le service de la restauration de l’EPFL annonçait donc sur son site internet le lancement du service Campus Express, une opération de livraison de repas en trottinette électrique à l’intérieur du campus, un Uber Eats à l’échelle de l’école. Un service qui promet d’assurer la livraison de nourriture d’une cafétéria (dans son état actuel le service ne livre que des repas de la cafétéria SV Group du bâtiment CM) à la porte de n’importe quel bâtiment du campus, et ce, à dos d’étudiant·x·e en trottinette électrique.

La communication du projet reste ambiguë sur la question de la “durabilité” de l’opération – on voit passer un logo “manger responsable” sur une affiche, mais le projet n’est pas présenté comme étant “durable” par essence. La mention de la durabilité y apparaît par défaut, comme une des composantes naturelles du discours contemporain de la culture startup. Ce projet nous fait voir la volonté de l’école d’associer son nom au plus dégoûtant de ce que le capitalisme contemporain ose appeler innovation: l’uberisation, le contournement de droits sociaux (ici les contrats zéro heure) romantisé et vétu dans les habits de la “digitalisation” et de la “dématérialisation”. 

Si Campus Express semble loin de concurrencer Uber Eats sur le campus – les repas doivent être commandés un jour à l’avance et la livraison n’épargne au·à la consommateur·x·ice qu’une marche de 5 minutes, là ou les commandes Uber viennent bien souvent du centre ville de l’agglomération lausannoise – son mode de fonctionnement ne s’en éloigne pas beaucoup. Là où les livreur·euse·s Uber Eats sont payé·e·s à la tâche, Campus Express les rémunère à un tarif horaire fixe si et seulement si ils·elles sont appelé·x·e·s pendant leur service​*​. Le travail est présenté comme équivalent à un contrat d’assistanat étudiant, mais il demande une disponibilité pendant les heures de midi (de 11h30 à 14h, ce qui implique donc vraisemblablement de rater partiellement deux cours) mais surtout la rémunération est incertaine.

Vous comprenez donc bien que notre position vis-à-vis de ce genre d’évolution de l’emploi étudiant sur le campus est plus que critique. Sauf que voilà, au moment de publier cet article nous avons décidé de vérifier la véracité de nos propos en contactant l’entreprise en charge du projet, et ce faisant nous avons appris que même si les conditions d’emploi que nous détaillons plus haut sont effectivement celles prévues pour le projet, en l’état, le nombre de commandes est trop faible pour justifier l’emploi de coursièr·es, ce sont donc les fondateurs de l’entreprise de livraison qui assurent eux-mêmes les livraisons (qui sont apparement très rares pour l’instant).

Bien sûr, les livreur·ses de Campus Express ne se substituent pas à des travailleur·euse·s aux conditions bien établies et ceci rend leur position bien différente de celle des conducteur·ices Uber face aux taxis, par exemple. Campus Express ne répond d’ailleurs pas à une demande réaliste et certainement que dans une année ou deux le projet – du moins sous sa forme actuelle – n’existera plus. Mais ce que Campus Express trahit, c’est bien la volonté de l’école de jouer à la startup, de se donner l’image d’une entreprise. Campus Express, c’est un projet hébergé par une startup (Green Future, une entreprise fondée par des alumnis de l’école) mais initié par des haut·es fonctionnaires du service public (de la restauration de l’EPFL) qui croient bon d’agir comme s’ils·elles n’avaient jamais quitté le secteur privé (dont ils·elles sont d’ailleurs tous et toutes issu·e·s), qui ne voient pas l’obscénité qu’il y a à utiliser de l’argent public pour ouvrir des marchés au travail précaire, et pour répondre à des besoins qui n’existent pas.

Il n’y a donc pas de scandale à dénoncer en l’état dans le projet, pas d’exploitation à proprement parler, mais le fait même que ce genre de projet puisse émerger d’une institution publique comme l’EPFL et être (en tout cas c’est ce que la communication effectuée par l’école laisse à penser) une fierté de cette dernière mérite d’être soulevé. Parce qu’il montre de quel genre d’innovation le management de l’école se revendique et ainsi nous rappelle de quel bord politique se trouve l’institution EPFL.


  1. ​*​
    Dans ce genre de cas on parle en général de contrats zéro-heure, car le·la travailleur·euse ne se voit garantir aucun revenu les jours sans client·es, dans le cas de campus express le paiement se fait par tranche de demi-heures. S’il y a une seule tâche dans une journée, le la livreur·euse serait donc présumablement payé au tarif de la demi-heure, soit 12 CHF brut.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *