Le canard huppé n’est pas qu’un journal repère de militant.e.s gaucho-écolo. Non non !!! Nous souhaitons que toustes les étudiantEs puissent se sentir légitime à partager leurs écrits et s’exprimer ici. C’est pourquoi, quand les responsables du cours de Enjeux Mondiaux: Climate nous ont contacté pour proposer une publication des meilleurs travaux qui ressortent du cours, nous avons trouvé ce partenariat des plus réjouissants, d’autant plus qu’ils apportent une approche scientifique inédite. Les articles publiés ici sont donc directement issus des rendus des étudiants en propédeutiques pour leur cours de Enjeux Mondiaux. Nous vous invitons à initier une discussion dans l’espace commentaires et pourquoi pas aussi à publier des articles revisités de vos travaux en lien avec l’écologie et la durabilité.
La rédaction du Canard huppé
Le pergélisol (ou permafrost) est un sol gelé qui occupe plus de 20% de la surface terrestre. Il se définit par le maintien de sa température en dessous de 0°C pendant plus de deux ans consécutifs. Il renferme à lui seul jusqu’à 1600Gt de carbone organique, relâché sous forme de gaz à effet de serre lors de sa fonte par action bactérienne. Ces émissions ont augmenté de 73% en Alaska depuis 1975. Elles créent une boucle de rétroaction positive en accélérant le réchauffement climatique, qui à son tour augmente la fonte des sols gelés. D’ici 2100, le pergélisol arctique pourrait libérer jusqu’à 143Gt de carbone dans l’atmosphère, soit 34% de l’estimation du budget carbone restant.
Une solution envisagée pour ralentir la fonte du pergélisol consiste à réintroduire de grands mammifères herbivores (bisons, chevaux, rennes, etc.). Nous nous intéressons dans cette recherche à la portée d’une telle application en Alaska ainsi qu’à ses enjeux climatiques, techniques, économiques et sociaux. Nous nous basons principalement sur des articles relatant une expérience menée depuis 1996 dans la réserve naturelle de Pleistocene Park en Sibérie. Elle consiste à réintroduire des chevaux dans un espace clos de 2000 hectares et en étudier l’effet sur la biodiversité et la température des sols. On observe que le mouvement des animaux en hiver compacte la neige, améliorant son isolation thermique.
La présence animale de 114 individus par km2 engendre une réduction moyenne de 50% de l’épaisseur de la neige et une baisse de la température moyenne des sols de 1.9°C.
Afin d’étudier cette solution et sa faisabilité à plus large échelle, la densité de la neige a été simulée dans le Haut-Arctique sur la période 2020-2100. Le réchauffement climatique a été modélisé selon un des scénarios les plus extrêmes (RCP8.5). Les résultats obtenus sont significatifs : la diminution de l’étendue du pergélisol arctique diminue de –631 à –233 millions d’hectares, l’augmentation de la température des sols diminue de +3,8 à +2,1°C. Ces résultats pourraient s’avérer encore plus positifs dans le cas d’un scénario climatique moins extrême.
L’application en Alaska d’une telle solution présente certains obstacles environnementaux. Premièrement, l’objectif de 114 individus par km2 est ambitieux, voire inatteignable ; selon les espèces, ce nombre d’individus n’existe tout simplement pas. Ensuite, l’introduction de ces animaux dans les écosystèmes de la toundra aura probablement pour conséquence la diminution des couvertures de lichen et de végétation ligneuse, barrières naturelles contre le réchauffement des sols. Si la présence des herbivores serait favorable au développement d’une végétation herbacée davantage isolante, celle-ci n’aura pas forcément le temps de se développer suffisamment rapidement. Globalement, les études mettent en évidence le besoin de recherches plus spécifiques sur l’interaction entre les herbivores et leurs écosystèmes afin de la simuler plus précisément. Il n’en demeure pas moins que cette solution reste applicable en l’Alaska. Le bison y est par exemple une espèce déjà présente dans les hautes latitudes et peut potentiellement être utilisé dans cette démarche. De plus, si l’objectif du taux d’individus n’est pas atteint, l’effet de leur présence restera malgré tout considérable : 15 individus parkm2 permettent déjà de réduire de 17% l’épaisseur de la neige.
Face à l’urgence climatique et au vu des désaccords internationaux sur la répartition des coûts engagés par le changement climatique, un accord de financement global de ce type de projet nous semble constituer un objectif ambitieux. Une telle démarche nécessite de longues négociations à risque de freiner sa mise en œuvre. Par ailleurs, l’introduction massive d’espèces pourrait créer un attrait touristique avec ses conséquences néfastes (infrastructures, pollution, etc.), mais également un potentiel de développement économique pour les régions concernées. Des populations humaines étant établies sur les sols gelés, elles pourraient bénéficier de l’apparition d’une économie touristique. À contrario, les mesures de protection animale (e.g. classement en réserve naturelle) peuvent impacter négativement les populations qui dépendent fortement de la chasse. La sauvegarde du pergélisol reste néanmoins une urgence pour ces mêmes populations, vouées à l’exode face à la disparition de leurs terres.
La réintroduction d’herbivores représente peut-être l’avenir de la lutte contre la fonte définitive du pergélisol, enjeu mondial majeur pour limiter le réchauffement climatique. Si l’apport de nouvelles études et un financement international pourraient permettre la concrétisation de projets plus conséquents, certains semblent néanmoins déjà réalisables à l’échelle de l’Alaska.
Achtari Kyan, Lesueur Hugo, Radet Julien, Rollet Martin, Von Wattenwyl Louis