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Analyse Société

Le Futur sera Solarpunk

Cet article a été rédigé dans le cadre de la SHS Dimension sociale de la durabilité (Marta Roca i Escoda et Lucrezia Perrig, CDH-EPFL).

Editorial

L’urgence climatique : du trouble à l’action

Ce dossier est composé des contributions d’étudiant·e·x·s du cours La dimension sociale de la durabilité, du Collège des Humanités de l’EPFL. Dans un campus où le mot d’ordre « durabilité » est omniprésent, il était question d’outiller les étudiant·e·x·s en leur présentant les perspectives critiques offertes par les sciences humaines, et de leur permettre ainsi de comprendre les contours de la « durabilité » pour en analyser les diverses formes et en saisir les conséquences sociales et politiques. Pour cela, nous avons adopté une approche critique revenant sur les différents discours des acteur·rice·x·s qui se réclament de la « durabilité » et en font la promotion.

Le projet consistait à faire travailler chaque étudiant·e·x sur un thème de son choix en lien avec la dimension sociale de la durabilité. Pour ce faire, ielles ont décidé du format de leur contribution pour ledit dossier, et ont dû s’initier à un style plutôt journalistique tout en se conformant aux exigences académiques d’une enquête en sciences sociales. La diversité des formats et des thématiques qu’ielles ont choisi témoigne de la richesse de leur travail : d’un micro-trottoir avec des étudiant·e·x·s de l’EPFL à une BD, en passant par des entretiens auprès d’un expert, d’un militant, d’un conférencier et d’un aumônier, les idées ont été passionnées et généreuses. 

Les contributions de ce dossier discutent des effets d’une science-fiction porteuse d’espoir, critiquent les présupposés néoclassiques de l’effet rebond en tant que concept économique, racontent la détresse existentielle et psychique liée au changement climatique, explorent les raisons de notre inaction individuelle et collective, relaient les choix de vie d’un militant pour appliquer ses convictions écologiques, expliquent l’importance de la sobriété numérique et les conflits d’une voie entrepreneuriale, content l’histoire des femmes Samburu au Kenya, et enfin, commentent un documentaire : Demain.
Notre projet a été accueilli avec enthousiasme par les membres de l’équipe de rédaction du Canard Huppé. Nous tenons à remercier cette équipe, et en particulier Esma Boudemagh, dont l’implication sans faille a rendu possible cette publication. C’est maintenant aux lecteur·rice·x·s d’en juger sa valeur.

Le Futur sera Solarpunk

par Nathan Kupferschmid

Le début de l’année 2022 a été marqué par plusieurs événements caniculaires et de sécheresse, comme en Inde et au Pakistan où les températures ont approché les 50 °C1“Dehli suffers at 49C as heatwave sweeps India”, BBC, 17 mai 2022. L’Europe a également connu des épisodes de sécheresses, notamment en Espagne et au Portugal2“Climate change-induced extreme winter drought devastates crops in Spain and Portugal”, Euronews, 13 février 2022, dont la conséquence principale est la diminution de la production agricole. Le prix du blé, qui a déjà bondi à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie3A. Swanson, “Ukraine Invasion Threatens Global Wheat Supply”, New York Times, 24 février 2022, n’est donc pas près de redescendre. Malheureusement, ces situations climatiques extrêmes, conséquences directes du changement climatique, sont en train de devenir la norme et vont même devenir plus fréquentes, comme le montrent les observations et les modèles numériques4G. A. Meehl, W. M. Washington, W. D. Collins, J. M. Arblaster, A. Hu, L. E. Buja, W. G. Strand et H. Teng, ” How Much More Global Warming and Sea Level Rise?”, Science, n°307, p.1769-1772, 2005

Difficile, donc, d’envisager un avenir radieux pour notre société et notre planète et la multitude d’œuvres de science-fiction anticipant un avenir dystopique où la Terre a été transformée radicalement par les activités humaines (comme dans Le Jour d’après, un blockbuster dans lequel des catastrophes climatiques dévastent des villes majeures, ou Wall-E, un film d’animation dans lequel l’humanité fuit la Terre devenue inhabitable) n’aide pas. Mais la science-fiction n’est pas uniquement pessimiste, et l’optimisme est même au centre du genre de la science-fiction dont il est ici question : le mouvement Solarpunk.

Le Solarpunk étant un mouvement artistique apparu sur internet, il est difficile de lui trouver un point d’origine exact. Le Solarpunk est proposé dans un blog en 20085“From Steampunk to Solarpunk”, Republic of the Bees, 27 mai 2008, https://republicofthebees.wordpress.com/2008/05/27/from-steampunk-to-solarpunk/ comme dérivant d’un autre mouvement de science-fiction, le Steampunk. La vision Steampunk est celle d’une société qui n’utiliserait pas l’électricité, mais plutôt des mécanismes tirant leur énergie de la vapeur (steam en anglais) et autres technologies du 19ème siècle. De son côté, le Solarpunk imagine une société tirant son énergie entièrement de sources renouvelables comme le soleil (d’où solar) et le vent. Si le Steampunk est un mouvement uniquement spéculatif, le Solarpunk esquisse de réelles pistes d’action et peut servir d’inspiration pour le monde de demain. 

Le Solarpunk peut être résumé par cette question, posée par Jay Springett6J. Springett, “Solarpunk : a Reference Guide”, 6 février 2018, https://medium.com/solarpunks/solarpunk-a-reference-guide-8bcf18871965 : « A quoi ressemble une civilisation durable, et comment y parvenir ? »

Un aspect central du Solarpunk et qui répond en partie à la question est le concept de DIY. Le DIY, « Do It Yourself » en anglais, littéralement « Faites-le vous-même », consiste à réparer, fabriquer, bricoler, produire et créer par soi-même et prend de très nombreuses formes : les potagers urbains sont une forme de DIY qui consiste à produire sa propre nourriture, les bourses d’échange, la création et le partage de logiciels libres, la réparation des appareils électroniques endommagés, etc. Toutes ces activités ont pour point commun d’offrir une certaine indépendance du système productiviste actuel et expliquent ainsi le suffixe punk de Solarpunk. Ce n’est pas pour rien que les géants de la technologie font tout leur possible pour rendre la réparation des smartphones aussi complexe que possible. 

L’utilisation des énergies renouvelables est elle aussi une forme de DIY et une forme d’opposition au système. « La contestation Solarpunk commence », d’après Adam Flynn « avec l’infrastructure comme une forme de résistance »7A. Flynn, “Solarpunk : Notes toward a manifesto”, Hieroglyph, 4 septembre 2014, https://hieroglyph.asu.edu/2014/09/solarpunk-notes-toward-a-manifesto/. La problématique de l’indépendance énergétique est devenue centrale dans l’Union Européenne avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la réalisation par les pays membres de l’Union et notamment de l’Allemagne qu’ils dépendent fortement des importations du gaz Russe. La transition des énergies fossiles vers les énergies renouvelables est une des solutions majeures pour garantir l’indépendance énergétique d’un État8J. Krane et R. Idel, ” More transitions, less risk: How renewable energy reduces risks from mining, trade and political dependence”, Energy Research & Social Science, Volume 82, 2021, puisqu’il n’est pas nécessaire d’importer des carburants fossiles comme le pétrole ou le gaz des pays producteurs. Il ne faut pas oublier toutefois que les technologies actuelles permettant d’exploiter les sources d’énergie renouvelable sont fabriquées à partir d’éléments souvent nuisibles pour l’environnement comme les terres rares, qui sont difficiles à extraire et qui doivent être eux-aussi importés des quelques pays où se trouvent des gisements. 

Dans le Solarpunk, l’indépendance énergétique, mais aussi alimentaire, n’est pas à réaliser au niveau de l’État mais au niveau local avec des infrastructures à tailles réduites, adaptables et faciles d’utilisation. Le Solarpunk ne rejette pas les technologies modernes mais propose de les utiliser en harmonie avec l’environnement. Les changements proposés par le Solarpunk ne semblent donc pas être du domaine de la science-fiction, puisqu’ils sont déjà réalisables avec les technologies d’aujourd’hui. Alors pourquoi ne vivons-nous pas déjà dans un monde Solarpunk

De plus en plus de personnes se mobilisent en faveur de la protection de notre environnement et de notre climat, sans que les choses ne semblent toutefois bouger. L’une des revendications principales d’Extinction Rebellion est d’atteindre la neutralité carbone en 2025. Or, nous sommes en 2022 et bien que les émissions de CO2 aient baissées de 36,7 milliards de tonnes en 2019 à 34,8 milliards de tonnes en 20209H. Ritchie et M.Roser, “CO2 emissions”, Our World in Data, https://ourworldindata.org/co2-emissions, cette baisse, probablement due à la pandémie de coronavirus qui, espérons-le, est un événement unique, ne permet pas d’envisager que l’objectif de la neutralité carbone puisse être atteinte d’ici 2025, ou que les objectifs beaucoup moins contraignants de l’accord de Paris soient atteints globalement. La population suisse elle-même ne semble pas disposée à fournir les efforts nécessaires pour atteindre, ou s’approcher, des objectifs fixés, comme le montre le résultat de la votation du 13 juin 2021 sur la loi CO2, qui a été rejetée à 51.6 %. 

Il est donc nécessaire de faire changer l’opinion publique, et c’est l’objectif des nombreux groupes d’activistes pour le climat qui organisent des actions de désobéissance civile afin de mettre la lumière sur le changement climatique. Le problème de cette approche, à mon avis, est qu’elle ne suffit pas à convaincre la partie de l’opinion publique la plus réfractaire aux mesures de protection de l’environnement, et c’est là que le Solarpunk peut jouer un rôle. Comme le dit Sarena Ulibari10S. Ulibarri, “The Brigther Futures of Solarpunk”, World Weaver Press, 9 août 2015 : « Une manière d’encourager le changement est de faire que les personnes soient inconfortables là où elles sont – c’est la stratégie de la dystopie : si vous continuez sur cette voie, regardez où cela va finir. Une autre manière est de faire que les personnes soient confortables là où vous voulez qu’elles soient – c’est la stratégie du Solarpunk : regardez ce monde magnifique que l’on pourrait construire. Est-ce que la science-fiction peut directement influencer les décisions politiques ? Non, et elle ne devrait pas. Mais elle peut influencer ce que les personnes perçoivent comme possible, et les images auxquelles elles pensent quand elles envisagent le futur. »

Je pense qu’il est important de ne pas seulement montrer ce que notre planète risque de devenir, mais aussi ce qu’elle peut devenir. Nous possédons à l’heure actuelle tous les moyens technologiques pour faire de notre société une société durable et juste mais nous ne l’avons pas encore fait, car le chemin pour y arriver n’est pas simple. La fiction, et en particulier la fiction Solarpunk, n’est pas une marche à suivre pour y parvenir, mais elle nous montre un futur différent du futur apocalyptique qui semble pour l’instant nous être destiné, un futur rempli d’espoir où l’humanité vit à l’intérieur des limites naturelles, un futur Solarpunk

Crédits image : @solarpunk_dreams

Références

  • 1
    “Dehli suffers at 49C as heatwave sweeps India”, BBC, 17 mai 2022
  • 2
    “Climate change-induced extreme winter drought devastates crops in Spain and Portugal”, Euronews, 13 février 2022
  • 3
    A. Swanson, “Ukraine Invasion Threatens Global Wheat Supply”, New York Times, 24 février 2022
  • 4
    G. A. Meehl, W. M. Washington, W. D. Collins, J. M. Arblaster, A. Hu, L. E. Buja, W. G. Strand et H. Teng, ” How Much More Global Warming and Sea Level Rise?”, Science, n°307, p.1769-1772, 2005
  • 5
    “From Steampunk to Solarpunk”, Republic of the Bees, 27 mai 2008, https://republicofthebees.wordpress.com/2008/05/27/from-steampunk-to-solarpunk/
  • 6
    J. Springett, “Solarpunk : a Reference Guide”, 6 février 2018, https://medium.com/solarpunks/solarpunk-a-reference-guide-8bcf18871965
  • 7
    A. Flynn, “Solarpunk : Notes toward a manifesto”, Hieroglyph, 4 septembre 2014, https://hieroglyph.asu.edu/2014/09/solarpunk-notes-toward-a-manifesto/
  • 8
    J. Krane et R. Idel, ” More transitions, less risk: How renewable energy reduces risks from mining, trade and political dependence”, Energy Research & Social Science, Volume 82, 2021
  • 9
    H. Ritchie et M.Roser, “CO2 emissions”, Our World in Data, https://ourworldindata.org/co2-emissions
  • 10
    S. Ulibarri, “The Brigther Futures of Solarpunk”, World Weaver Press, 9 août 2015

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