Cet article a été rédigé dans le cadre de la SHS Dimension sociale de la durabilité (Marta Roca i Escoda et Lucrezia Perrig, CDH-EPFL).
Editorial
L’urgence climatique : du trouble à l’action
Ce dossier est composé des contributions d’étudiant·e·x·s du cours La dimension sociale de la durabilité, du Collège des Humanités de l’EPFL. Dans un campus où le mot d’ordre « durabilité » est omniprésent, il était question d’outiller les étudiant·e·x·s en leur présentant les perspectives critiques offertes par les sciences humaines, et de leur permettre ainsi de comprendre les contours de la « durabilité » pour en analyser les diverses formes et en saisir les conséquences sociales et politiques. Pour cela, nous avons adopté une approche critique revenant sur les différents discours des acteur·rice·x·s qui se réclament de la « durabilité » et en font la promotion.
Le projet consistait à faire travailler chaque étudiant·e·x sur un thème de son choix en lien avec la dimension sociale de la durabilité. Pour ce faire, ielles ont décidé du format de leur contribution pour ledit dossier, et ont dû s’initier à un style plutôt journalistique tout en se conformant aux exigences académiques d’une enquête en sciences sociales. La diversité des formats et des thématiques qu’ielles ont choisi témoigne de la richesse de leur travail : d’un micro-trottoir avec des étudiant·e·x·s de l’EPFL à une BD, en passant par des entretiens auprès d’un expert, d’un militant, d’un conférencier et d’un aumônier, les idées ont été passionnées et généreuses.
Les contributions de ce dossier discutent des effets d’une science-fiction porteuse d’espoir, critiquent les présupposés néoclassiques de l’effet rebond en tant que concept économique, racontent la détresse existentielle et psychique liée au changement climatique, explorent les raisons de notre inaction individuelle et collective, relaient les choix de vie d’un militant pour appliquer ses convictions écologiques, expliquent l’importance de la sobriété numérique et les conflits d’une voie entrepreneuriale, content l’histoire des femmes Samburu au Kenya, et enfin, commentent un documentaire : Demain.
Notre projet a été accueilli avec enthousiasme par les membres de l’équipe de rédaction du Canard Huppé. Nous tenons à remercier cette équipe, et en particulier Esma Boudemagh, dont l’implication sans faille a rendu possible cette publication. C’est maintenant aux lecteur·rice·x·s d’en juger sa valeur.
Critique de film : Demain, Cyril Dion et Mélanie Laurent
Par Camille Kevorkian
Mon premier visionnage du film Demain remonte à maintenant quelques années.
À ce moment, je fus traversée par diverses émotions comme l’anxiété puis progressivement l’espoir, la joie et la motivation.
À travers ce film-documentaire, divisé en cinq chapitres, Mélanie Laurent et Cyril Dion ont tenté de retranscrire l’histoire d’hommes et de femmes qui, à travers le monde, agissent et prennent les choses en main pour changer le monde de demain.
Si la première séquence débute avec un constat catastrophique issu de la revue Nature (2012) menaçant la survie de l’espèce humaine d’ici 2100, le ton général du documentaire s’adoucit, laissant place à l’action plutôt qu’à la peur.
Les problèmes environnementaux et sociaux de notre siècle sont exposés et compris au cours des interventions. À l’image de ce que font ces citoyen·ne·x·s, les obstacles sont surmontés à différentes échelles.
À quoi notre monde pourrait ressembler demain ?
Le média du film porte ce message. L’image aide à s’imprégner de l’histoire, elle nous transporte, et nous donne les clés pour mieux nous identifier. Nous le savons, le cinéma est un véhicule très puissant pour transporter une culture. On peut rapporter cela à la culture américaine propagée par les films signés Hollywood. C’est alors ici le moyen parfait de transporter les gens dans ce nouveau monde qui n’attend que nous – ce monde où chaque action compte, où on n’est pas dans l’attente mais on prend les choses en main. À travers chaque rencontre, il se passe quelque chose de vrai et l’atmosphère transperce l’écran.
Par ailleurs, pourquoi forcément voir le changement comme quelque chose de négatif ?
Il est intéressant de rappeler que le film a pu voir le jour grâce au soutien d’un public averti touché dès le début, alors que le film n’était qu’à l’étape conceptuelle. Une participation citoyenne pour lever des fonds (450’000 euros) a permis au film Demain de voir le jour. Les réalisateur·rice·s portent la responsabilité de bien faire les choses et de rendre fier le public qui a participé à ce film. Ainsi, il est financé par les citoyen•ne•x•s et réalisé pour les citoyen·ne·x·s.
La question de l’échelle dans ce film est primordiale.
Une chose est sûre, il faut amorcer le cheminement quelque part, et ces hommes et femmes que l’on rencontre dans le film l’ont compris. Nous avons du pouvoir que nous n’utilisons pas. Nous avons des responsabilités que nous ne prenons pas. Et si ces gestes individuels, à l’échelle de la planète, peuvent paraître infimes, nous ne pouvons pas attendre et espérer l’action des personnes au pouvoir pour commencer à changer les choses.
Le film débute sous l’angle de l’agriculture, et propose une première rencontre avec des volontaires travaillant dans des fermes urbaines de Detroit qui ont décidé de se retrousser les manches et de prendre leur destin en main, sans chercher à fuir le déclin que subit la ville depuis la fermeture des industries lourdes.
Mary Clear et Pam Warhust, du mouvement The Incredible Edible à Todmorden en Angleterre, ne se disaient pas qu’elles allaient sauver la planète, mais plutôt qu’elles allaient faire quelque chose à leur échelle, en plantant à différents endroits de la place publique.
Perrine et Charles Hervé-Gruyer, maraîcher·ère·s, disposent d’une exploitation agricole en permaculture en Normandie, France.
Nous apprenons qu’il est possible de faire pousser les aliments plus proches de nos habitats, sans nuire à la nature, tout en améliorant leur rendement. Par-dessus tout, il est primordial de recréer du lien social et de la solidarité qui naissent autour de cette thématique et sont inévitables pour surmonter ces défis.
Inévitablement, notre dépendance à l’utilisation des énergies fossiles est discutée par la suite. Comment s’en passer ?
Le voyage au Danemark, en Islande, à la Réunion, et à San Francisco aux États-Unis donne des exemples concrets de comment s’en passer. On évoque d’autres formes d’énergies, pleinement renouvelables comme le solaire, l’hydroélectrique, l’éolien, la biomasse ou la géothermie.
Au-delà de ça, il faut aussi songer à consommer autrement et à adapter nos habitudes de vie.
Le mode de vie est par ailleurs directement impacté par les décisions des villes, si nous prenons l’exemple des plans d’aménagements urbains des villes. Construire plus de routes n’aidera pas à réduire le nombre de voitures en circulation alors qu’aménager des pistes cyclables, des espaces publics piétons agréables et dynamiques renforcera ce changement. Le recyclage des déchets des ménages est lui aussi directement impacté par ces décisions urbaines.
La croissance économique infinie n’est pas soutenable. Le film retrace différentes initiatives montrant comment la richesse peut être créée sans poursuivre cet objectif de croissance. À l’image de l’entreprise Pocheco, qui applique à la lettre le principe de la circularité (matériaux recyclés, récupération de chaleur), où les dividendes des actionnaires sont plutôt réinjectés sous forme de bénéfices dans les capitaux de l’entreprise et où les écarts de salaires entre responsables et employés sont minimisés.
En complément, les expériences de monnaies locales sont aussi mises en lumière et démontrent une économie plus résiliente et plus autonome favorisant le développement des petites entreprises locales.
La démocratie traduit directement cette prise de conscience nécessaire à l’échelle de l’individu mais malheureusement aussi ce sentiment de ne plus se sentir représenté·e·x par les élu·e·x·s. La démocratie est partout en tout temps et ne se trouve pas uniquement dans l’acte du vote. Elle laisse à chaque citoyen·ne·x responsabilité et source d’expression.
Le mouvement citoyen à Reykjavik, Islande où 25 citoyen·ne·x·s élaborent une nouvelle Constitution ciblant les questions de responsabilité et transparence des élu·e·x·s en est l’application directe.
Je fus profondément inspirée par le cas du village de Kuthambakkam, au Chennai en Inde. Là-bas, les habitant·e·x·s sont invité·e·x·s aux assemblées, participent aux prises de décisions et s’activent pour les appliquer. Cela crée inévitablement une démocratie plus puissante, un univers plus en lien, au-delà des classes sociales et où les pouvoirs ne sont plus concentrés, où un citoyen n’a pas d’intérêts contraires à protéger.
Enfin c’est à Espo, en Finlande, que le dernier sujet est discuté : l’éducation. Le pays présente des résultats en tête du classement Pisa (Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves) depuis 2009. Un environnement de confiance entre professeur·e·x·s et élèves est installé et les barrières de hiérarchie sont floutées, laissant place à un tout autre modèle pédagogique. La qualité de cet enseignement réside aussi dans la taille réduite des classes (15 élèves pour deux professeur·e·x·s), permettant ainsi un apprentissage plus personnalisé. Dès le plus jeune âge, iels sont sensibilisé·e·x·s à l’acceptation de l’autre et de la différence, à l’empathie et à la bienveillance. Ce chapitre prend une grande importance autour de ces questions. En effet, l’évolution des mentalités doit avoir lieu dès le plus jeune âge.
Demain a finalement attiré plus d’un million de spectateur·rice·x·s dans les salles en France, a été distribué dans près de 30 pays et a même remporté en 2016 le César du meilleur film documentaire.
Le film fut projeté dans plusieurs évènements internationaux, de nombreux projets liés aux initiatives ont été lancés et des collectivités ont pris conscience de leur pouvoir. À Genève aussi, les initiatives locales sont mises en valeur dans le film Demain Genève, par la force de quatre genevois qui ont été frappés par le documentaire.
Cyril Dion reviendra sur ces initiatives en 2018, avec à ses côtés Laure Noualhat, qui est quant à elle plutôt sceptique vis-à-vis de l’impact de ces initiatives à échelle minimale sur le changement climatique. L’idée est ici de faire un bilan, sur ce qui fonctionne, ce qui a changé et ce qui en reste.
En effet, si le film Demain a réussi à inspirer en construisant un nouvel imaginaire, aujourd’hui, les initiatives individuelles ne suffisent pas. Les modèles économiques ne changent pas, le système capitaliste continue de détruire les écosystèmes pour toujours plus de croissance alors que les scientifiques nous donnent jusqu’à 2030 pour réduire de moitié les émissions.
Laure Noualhat en a marre des discours positifs. En effet, l’écologie est un sujet sensible car le monde est dans le déni alors que la survie de l’humanité est en jeu et les gens peinent encore à prendre conscience de l’échelle du problème.
Alors, comment faut-il s’adresser aux individus ? Raconter des histoires inspirantes en mettant en avant les initiatives positives sans effrayer, ou montrer la gravité de la réalité ? Nous devons nous montrer prêt·e·x·s à changer, à renoncer, à se contraindre, et à aspirer à une autre société et non celle dont l’objectif est le profit à court terme et le confort maximal que l’on nous vend encore aujourd’hui. Il existe déjà bon nombre de films catastrophistes montrant la fin de notre espèce. Demain est porteur d’espoir et propose de commencer quelque part, plutôt que d’attendre que quelqu’un le fasse pour nous. Pour ces raisons, ce film-documentaire remplit l’objectif par la narration de décrire ce à quoi le monde de demain pourrait ressembler et donne envie de le construire.