Étude de faisabilité sur la viande de synthèse en Suisse.
Texte écrit dans le cadre de la SHS Enjeux Mondiaux Climat.
Auteur·ices: HANY Anthony (MT), KEYSER Kimberly (PH), ROBSON Nicolas (MT), TAKLA Youssef (GM) et VERZONE Hugo (SV)
La consommation actuelle de viande en Suisse n’est pas durable. Un habitant en mange à hauteur de 111g par jour en moyenne. L’importance de la viande est gustative mais aussi largement culturelle, aspect non négligeable si l’on souhaite modifier les habitudes de consommation à une échelle nationale. Les régimes alternatifs tels que le végétarisme se heurtent à cette dimension culturelle, d’où l’intérêt d’une solution de substitution la plus proche possible d’une chair animale.
La fabrication de viande synthétique (“VS”), actuellement, se fait en trois étapes. La première est la prolifération de cellules souches, la deuxième la maturation de celles-ci et la troisième la combinaison des différents types de cellules. Le processus total dure aux alentours de 2 mois, ce qui est nettement moins que les 2 à 3 ans nécessaires pour obtenir un bœuf adulte.
14.5% des émissions de GES mondiaux sont liés à la production d’alimentation d’origine animale. La production de viande synthétique a le potentiel d’émettre 78-96% moins de GES que la viande traditionnelle selon des études optimistes, mais le coût en GES de la viande de synthèse est très variable suivant les études. Cependant, la VS permet aussi des gains de sols et contourne certains problèmes dont celui de la pollution des nappes phréatiques par l’élevage intensif. De plus, elle ne nécessite qu’un cinquième d’eau en rapport à sa contrepartie. La substitution de la viande traditionnelle par de la VS serait donc une manière de s’alimenter plus écologiquement, tout en gardant nos habitudes.
Nous avons distribué un sondage sur la viande synthétique à une centaine d’étudiant·e·s universitaires lausannois·e·s, ainsi que quelques externes. Les résultats ne sont pas statistiquement représentatifs, mais peuvent informer par rapport à l’avis des jeunes en Suisse. 30% des sondé·e·s n’ont jamais entendu parler de la VS. Une majorité veut réduire sa consommation de viande pour des raisons écologiques, morales, ou de santé, cependant l’avis général sur la VS est dubitatif. Certes, après une définition de la VS, plus des deux-tiers des répondant·e·s seraient ouvert·e·s à la goûter, mais iels n’ont pas encore très bien compris ce que c’est, et ils en sont sceptiques. Une étude de l’ETH fournit un ordre de grandeur comparable en ce qui concerne le dégoût et le manque de naturalité de le VS en 2020. Manger ce qui semble provenir directement d’un laboratoire ne donne ni confiance, ni appétit.
Le prochain obstacle de la viande synthétique est la barrière économique et le manque d’infrastructure. Vu la domination du marché de la viande rouge par les entreprises actuelles, estimé à 668 milliards de dollars d’ici 2023 selon Businesswire, il est normal que la viande synthétique ait de la peine à se trouver une place. De plus, il faut tenir compte des coûts de recherche et développement qui s’ajoutent aux facteurs financiers pour rendre le capital nécessaire très élevé.
Pour que les gens achètent de la VS, il faudrait donc considérablement développer sa visibilité et améliorer son image médiatique par des campagnes d’information (via les réseaux sociaux ou des publicités) dans le but de déclencher une mode et de sensibiliser la population carniste. En effet, la VS émet moins de GES que la viande classique mais a tout de même un plus grand impact écologique que les produits végétaux.
Parallèlement, la viande de synthèse devra être accessible financièrement. La baisse de prix pourra être obtenue par investissements publics et privés ou prêts à faible taux, comme l’investissement des Pays-Bas de 4 millions de dollars en 2008 dans la recherche sur la VS. En effet, si celle-ci atteint un prix plus bas que la viande traditionnelle elle deviendra attirante. Néanmoins, ce coût peut être au moins partiellement compensé si la Suisse économise des bons carbones. Nous estimons que la Suisse économiserait entre 10 et 100 millions de francs par an en bons carbone si la viande traditionnelle est substituée selon les intentions perçues dans notre sondage.
Enfin, une réduction de la consommation de viande menacerait les emplois dans les industries de l’élevage et d’abattage-découpe. Une précarisation d’emplois signifierait le besoin de soutien étatique, notamment sous forme d’aide à la reconversion. Cependant, des postes de travail vont être créés dans le marché de la VS, et ce nombre ne fera que croître avec son expansion.
Le remplacement de la viande classique par de la VS, changeant peu nos habitudes et notre qualité de vie, a le potentiel de réduire significativement les émissions de GES. Mais la situation sociale et culturelle actuelle, ainsi que les enjeux économique et technologique d’une démocratisation de la VS constituent encore des freins, bien que des solutions réalistes soient envisageables. Sur le moyen terme, la viande synthétique, en parallèle à d’autres initiatives immédiates (régimes alternatifs, réduction de la consommation…), est donc une solution crédible face au changement climatique.
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Sondage:
https://docs.google.com/form/d/1iuow1uJEhqrI98TctL45dP4gQUTKh8LMpf6X6cBJ2HM/viewanalytics
(Pour des raisons techniques, nous avons dû changer la méthode de réponse aux questions après avoir distribué le sondage. Ceci fait que certaines des statistiques sont difficiles à comprendre. Notez également qu’il y a une version anglaise, et une française)
Illustration:
Photographe: David Parry, PA Wire, https://culturedbeef.org/node/14044/