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La sobriété, le vilain petit canard de l’écologie.

Cet article a été écrit dans le cadre du cours de SHS (EPFL): “Introduction à l’histoire environnementale”  de Alexandre Elsig.

Introduction : qu’est-ce que la sobriété ?

Il est possible de trouver une définition de la sobriété datant de 1690 qui stipule que : « La sobriété est une vertu par laquelle on s’abstient de boire et de manger au-delà de ce qui est nécessaire pour vivre. »​1​ Une notion plus contemporaine de la sobriété telle qu’abordée par Philippe Bihouix consiste plutôt en « se demander si je peux me passer de certaines choses »​2​ et agir en conséquence. On peut ici se rendre compte que la définition originale a été élargie au cours du temps puisque celle du 17ème siècle semble signifier être capable de se contenter du minimum, tandis que de nos jours l’excès nous amène à essayer de retrouver et de se rapprocher de ce minimum. Nous allons étudier comment cette notion de sobriété est traitée et abordée au regard de la crise climatique. 

Une notion loin d’être nouvelle.

Le philosophe Ivan Illich parlait déjà de sobriété sans pour autant la nommer dans les années 70, notamment avec ce qu’il appelle « la convivialité » dans son livre du même nom​3​. Convivialité qui invite la société à retrouver la maîtrise des outils qui doivent être au service des Humains et non l’inverse. En ce qui concerne la sobriété énergétique, un article du Low-Tech Magazine​4​ alerte déjà en 2008 que réduire la croissance de consommation d’énergie est primordial. En effet, même si la part d’énergie renouvelable ou faiblement émettrice de CO2 (fission nucléaire) augmente, comme beaucoup aiment s’en vanter, la dépendance en énergie fossile augmente aussi. Ainsi, une réduction des émissions de gaz à effet de serre ne peut avoir lieu sans une forme de sobriété énergétique. Ce que l’on pensait être une addiction au pétrole, gaz et charbon, dont on semble sortir, cache en réalité une addiction à l’énergie. Qu’elle soit prélevée au fond des océans, qu’elle utilise la force du vent ou la chaleur du soleil, elle a un coût humain, environnemental et comportemental. La meilleure énergie est donc celle qu’on ne consomme pas.

Energie renouvelable et sobriété, le premier à la traîne et faux départ pour l’autre.

Ces deux leviers d’action primordiaux pour agir contre la crise climatique en matière d’énergie sont déjà mentionnés par le professeur de thermodynamique de l’EPFL Joseph Borel dans un article du Temps en 1977​5​. En effet, il s’attaque déjà à l’augmentation inéluctable de la croissance énergétique en proposant « la définition des besoins énergétiques raisonnables », un objectif ambitieux de sobriété, en plus de vanter les mérites des énergies renouvelables. Après plus de 40 ans, ces formes d’énergies commencent à prendre de l’importance même si les bilans sont décevants. Quant à la sobriété, on déplore de nombreuses années sans action en ce sens, de plus l’addiction énergétique continue d’être ancrée encore un peu plus profondément. Même lorsque la Russie, pourtant première exportatrice de gaz en Europe, déclare une guerre, les mesures de sobriété triviales mais efficaces comme demander à la population de baisser son chauffage et de se vêtir d’un pull à la maison ne sont pas proposées​6​.

Au menu de la sobriété cette semaine : Baisse du niveau de vie en entrée, modèle Amish en plat et retour à l’Âge de pierre en dessert.

Beaucoup de qualifications extrêmes sont entendues sur ce sujet, serait-ce trop demander d’avoir un peu de sobriété dans la critique ? La formule entrée/plat du titre de cette partie est directement tirée des propos des deux candidat·e·s​7,8​ au second tour de la présidentielle française. La France est-elle vouée à 5 ans de mépris pour la sobriété ? Faut-il une étape de dédiabolisation d’une vingtaine d’années avant qu’elle n’apparaisse sérieusement dans le débat politique, comme ce fut le cas pour l’écologie ? L’association The Shift Project a effectué l’analyse de tous les programmes de l’ensemble des candidat·e·s. Aucun·e n’est susceptible de respecter les accords de Paris, et la sobriété n’est que peu ou pas mentionnée dans les programmes. Au second tour, on entend que la high-tech à elle seule nous sauvera de tous les maux, de la crise climatique aux attaques de celles et ceux qui semblent vouloir « revenir à la lampe à huile »​9​. L’innovation est communément considérée comme antagoniste avec la sobriété alors qu’en réalité les deux vont très bien ensemble,  visible par exemple avec les nombreux mouvements Low-tech qui émergent​10​. Miser sur le progrès technologique continue d’être la priorité mais surtout le seul levier d’action contre la crise climatique pour de nombreux·ses acteur·ices. Des mesures de sobriété, bien que différentes, pourraient s’avérer être un très bon complément au progrès mais ne sont pas mises en place.

Einstein disait « Nous ne pouvons pas résoudre nos problèmes avec la même pensée que nous avons utilisée lorsque nous les avons créés. »    

Conclusion

Bien que la mentalité « écolo » commence à se faire entendre et à être adoptée par la masse, l’aspect lié à la sobriété qu’implique l’écologie reste mal aimé voire ignoré. Est-elle incompatible avec le capitalisme qui pousse au “toujours plus”, ou la peur de froisser celles et ceux qui ont peu, en leur demandant de faire moins ? La sobriété semble en tout cas être le vilain petit canard de l’écologie. 

   

« Vous entrez dans la salle de bain de l’humanité, la baignoire est sur le point de déborder, le robinet (énergétique) est grand ouvert. Un groupe de personnes discute, la solution adoptée semble être de construire une plus grande baignoire en allant chercher le matériel chez le voisin. Dans le coin de la pièce, un petit être vert, qui s’est fait rejeter, avait proposé de fermer le robinet. »

  1. 1.
    FURETIERE A. Dictionnaire Universel. ; 1960.
  2. 2.
    BIHOUIX P. . Published online 2018. https://www.youtube.com/watch?v=Bx9S8gvNKkA
  3. 3.
    ILLICH I. La Convivialité. Points; 2015.
  4. 4.
    DE DECKER K. How (Not) To Resolve the Energy Crisis. Low-Tech Magazine. Published online 2009. Accessed April 9, 2022. https://solar.lowtechmagazine.com/2009/11/renewable-energy-is-not-enough.html
  5. 5.
    CHENAUX P. La survie de notre société dépend des énergies renouvelables. Le Temps. Published online October 13, 1977:10.
  6. 6.
  7. 7.
    IL Y A DU BOULOT : L’ANALYSE DES PROPOSITIONS DES CANDIDATS SUR LE CLIMAT PAR LE SHIFT PROJECT,. The Shift Project. Accessed April 8, 2022. https://theshiftproject.org/article/climat-energie-analyse-shift-presidentielles/
  8. 8.
    Les analyses par candidats . Présidentielle 2022 The Shifters. Accessed April 8, 2022. https://presidentielle2022.theshifters.org/candidats/
  9. 9.
    MACRON E. France relance. Macron défend la 5G et se moque du “modèle Amish” des écologistes. Accessed April 8, 2022. https://www.youtube.com/watch?v=YcSN6QzdvMM
  10. 10.
    BIAGINI L, NOUHAUD N, STEPHAN E. L’éclosion Low-Tech. L’Éclosion LOW-TECH – [Documentaire] . Accessed April 8, 2022. https://www.youtube.com/watch?v=oUr3G23Zz4M

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