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Collaboration avec Plume #1

Ce texte a été produit lors d’une collaboration du Canard Huppé avec l’association littéraire Plume. Le but de l’exercice était d’incarner un élément naturel non humain, et d’imaginer l’impact de l’humain sur son environnement.

***

La vie d’un chêne

Mon premier jour fut ensoleillé. Je me rappelle très clairement mes premières feuilles s’ouvrir sur un ciel orangé, une brise légère me balançant de toutes parts et le chant des oiseaux non loin. Je n’étais alors qu’une jeune pousse, j’avais péniblement fait surface depuis le début du printemps et n’avais alors que très peu d’énergie, mais quand j’ai senti ce soleil matinal, j’ai su qu’une grande vie m’attendait.
Les premières années furent les plus difficiles. Il faut croire que les feuilles d’un jeune chêne sont très alléchantes. Nombreuses sont les fois où j’ai cru que jamais je ne parviendrais à faire pousser mes bourgeons sans qu’un de ces foutus mammifères ne vienne mâcher mes branches. C’était là un combat de chaque instant jusqu’à ce qu’un jour un homme, le premier qui s’approcha de moi depuis le début de ma courte vie, vienne placer une barrière entre moi et ses bêtes. J’ai longtemps cru que c’était le rôle des Hommes, qu’ils étaient les humbles protecteurs de la nature. Je les croyais médiateurs entre végétaux et animaux, et pendant de nombreuses années, c’était vrai.
L’homme revint pour stabiliser mon tronc quand je menaçais de me déraciner. Il agrandit mon espace lors que je grandis et quand je devins suffisamment puissant et que cette barrière n’était plus nécessaire, il la retira avant de s’éloigner, le sourire sur son visage.
L’homme n’était pas seul. Les humains, j’en ai vu passer toute ma vie. Un couple de jeune gens vint s’allonger contre mon tronc à de nombreuses reprises. Quel plaisir de les entendre rire, de les voir s’endormir l’un contre l’autre.
J’étais heureux en ce temps-là, j’étais fier et fort.
Les Hommes passaient, j’étais un lieu de rendez-vous, un lieu de repos, le perchoir des enfants, l’ombre du paysan, la demeure des oiseaux pendant quelques temps.
J’aurais dû savoir que cela ne pouvait durer. J’aurais dû savoir. Mais je n’étais qu’un chêne. Un chêne ne philosophe pas. Un chêne vit jour après jour sans se douter de ce que le lendemain lui réserve.
Il vit. C’est tout.
C’est quand un groupe d’hommes avec leur infernale machine me rendirent visite que tout changea. L’engin avait l’air d’un monstre sorti tout droit des enfers. Je savais les Hommes inventifs au point de contrer toutes les lois de la nature mais aucune de leurs inventions ne firent trembler mes branches comme ce Cerbère.
Je ne comprenais pas ce qu’ils se disaient jusqu’à ce que l’un d’eux chevauche le monstre. Il chargea. S’élança sur moi avec une telle force que mon tronc en trembla comme aucune tempête n’avait encore osé. Il recula et chargea à nouveau et je crois que c’est à cet instant que je compris que la fin était là.
Je devais vivre longtemps. J’avais l’impression de n’avoir encore rien vécu.
Je devais voir tant de choses, tant de jours, tant de saisons et pourtant mon protecteur en avait décidé autrement. Les Hommes ne sont pas les médiateurs. Ils sont comme chaque être vivant qui peuple cette terre. Il prend ce qu’il veut quand il veut. Si mon ombre le satisfait, il en profite. Mais dès l’instant où je deviens une nuisance, je disparais.
En cet instant où mes racines sortent de terre, je comprends que je ne sentirai plus jamais le soleil sur mes feuilles, la pluie couler le long de mes branches.
Je comprends que c’est la fin mais que je ne suis pas le dernier et j’ai mal.
J’ai mal.

Sophie Kolly


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