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Si l’écologie ne peut être que bourgeoise, mieux vaudrait-il sans doute qu’elle ne soit pas.

En finir avec le capitalisme, parce que quand même à un moment c’est bon quoi, c’est le titre d’une pétition publiée par Usul et Cotentin, présentateurs de l’émission “Ouvrez les guillemets” sur Médiapart.

C’est drôle, mais si c’est si drôle, c’est parce que c’est si triste, parce que la place qu’ont pris les différentes tribunes publiées au moment du déconfinement témoigne avant tout de la faiblesse du mouvement social et de ses revendications, ou tout du moins du peu de considérations qu’en font les médias, et parce que cela fait quelques années que la gauche n’a pas fait grand-chose de plus que des pétitions – du moins sur le plan économique. La pétition d’Usul et Cotentin1 est une réaction à une tribune publiée par Aurélien Barrau et Juliette Binoche intitulée “Non à un retour à la normale2.On y parle de “problème systémique” sans nommer le système, de consumérisme, et de “point de rupture”. 50 lignes plutôt fades et vides de contenu analytique cosignées par 200 bourgois·e·s. C’est vraiment ça la gauche? C’est s’extasier parce que Robert de Niro aussi a peur du changement climatique?

C’est un témoignage de l’absolue hégémonie culturelle du capitalisme dans notre société3, de l’impossibilité de penser en dehors. On utilise le vocabulaire de l’ennemi: on dit “système” plutôt que “capitalisme”, ou parfois “libéralisme” – comme si on était libres sous le capitalisme, comme si on ne vivait pas tou·te·s sous la contrainte économique. On parle de “consumérisme”, et on place la consommation plutôt que la production au centre de la réflexion, déplacant ainsi la résponsabilité des élites vers les individus. Dans le camp écologiste on dit parfois aussi que c’est l’humain la cause du mal – comme si les rapports sociaux qui détruisent l’équilibre du système Terre aujourd’hui étaient les seuls possibles. Et surtout on ne parle pas concrètement de ce qui devrait être accompli pour changer les choses.

Le mouvement écologiste – d’Extinction Rebellion à Greenpeace – est passé maître dans l’art de rendre ses critiques inoffensives, d’éviter la confrontation directe, la pensée radicale (la pensée “qui pense vraiment” – comme dirait Bégaudeau4), en somme, d’éviter de se rendre politique. C’est d’ailleurs quelque chose qui a longtemps été revendiqué par une partie de ses militant·e·s – qui décrivaient leur combat comme “apolitique”. Et pour cause l’histoire des mouvements écologistes en Occident est largement l’histoire d’une écologie bourgeoise, pratiquée par des militant·e·s issu·e·s de classes sociales dont les intérêts à court-moyen terme sont directement opposés à une remise en question de l’ordre économique en place. En outre, dans une large mesure, l’écologie à été moralisatrice et a construit ses revendications non selon un cadre éthique et analytique bien défini (à l’instar de la tradition marxiste ou plus récemment des mouvements antispécistes) mais selon un jugement assez arbitraire de ce qui semblait bon ou mauvais, pour “l’environnement” ou “la nature”- deux concepts par ailleurs souvent assez flous.

Sauf que voilà, les années ont passé et rien n’a changé, les mouvements écologistes ont failli à avoir quelqu’impact politique ou économique que ce soit. Aujourd’hui l’écologie n’apparait plus comme un luxe mais comme une nécessité, et c’est peut-être sa chance – il est désormais clair qu’il en va de notre avenir à tou·te·s et que ce sont les plus défavorisé·e·s qui souffriront le plus du choc climatique.

La pandémie du Covid19 a forcé l’économie mondiale à l’arrêt et menace de causer une crise économique d’ampleur supérieure à celle de 2008. Alors que les prolétaires comptent leurs morts et se préparent à la prochaine cure d’austérité5, il est très certainement temps pour l’écologie de cesser d’être modérée et de cesser d’être l’apanage de la petite bourgeoisie “de gauche”.

La question écologique contemporaine est une question de classe, celles et ceux qui subiront le plus – et en premier – les conséquences du choc climatique sont les plus précaires, les plus pauvres : le prolétariat6, d’abord – et déja maintenant – dans les pays du sud global et puis aussi dans les pays “développés”. S’il y a pénurie alimentaire7, ce sont les prolétaires qui auront faim en premier. L’électorat traditionnel des partis écologistes a bien moins à s’en inquiéter. Pourtant, la rhétorique des écologistes, est largement restée attachée à une volonté d’atteindre un hypothétique consensus dans l’espace public, à se montrer raisonnable, à ne pas froisser. 

Quand un·e banquier·e décide de mettre en place un de ces pathétiques fonds d’investissement “vert”8 plutôt que de désinvestir l’intégralité de ses actifs du fossile, il choisit de sacrifier le bien commun pour le profit de ses actionnaires. C’est un acte délibéré dont les conséquences touchent d’abord les plus défavorisé·e·s. Il y a un conflit entre les intérets du banquier·e et ceux du·de la prolétaire moyen·ne9.

Ce que l’écologie politique devrait accomplir sur le plan rhétorique, c’est rendre ce conflit apparent.

“There’s class warfare, all right, but it’s my class, the rich class, that’s making war, and we’re winning.”

Warren Buffet, 4ème fortune mondiale

Nous ne voulons pas plus de greenwashing que de taxe carbone, et il est plus que temps de rendre évident que de telles mesures sont non seulement insuffisantes mais aussi réactionnaires. Réactionnaires car elles existent comme écran, pour masquer l’innaction effective des dominant·e·s face à la catastrophe en cours, pour empêcher la remise en question de l’ordre en place. L’écologie ne devrait pas faire consensus, les mesures nécessaires à la préservation de notre environnement requièrent une telle reconfiguration économique que les capitalistes devraient nécessairement y être opposés. Et si ce n’est pas clairement le cas actuellement c’est certainement que la rhétorique des écologistes est trop conciliante, trop iréniste*, plus attachée à permettre un illusoir dialogue avec ce·lle·ux qui détiennent le pouvoir qu’à sa propre cohérence.

Il s’agit donc de rendre évidente l’inadéquation des réponses proposées par les tenant·e·s du pouvoir économique à l’ampleur de la crise écologique. Pour ce faire, il semble nécessaire d’expliciter ce à quoi ressemblerait un changement réel d’ordre économique et politique : une réaction adéquate10 à la crise en cours. Dans son dernier ouvrage “Vivre Sans“, Frédéric Lordon décrit ce à quoi pourrait ressembler une telle transition en France :

“Dans les conditions de raidissement normatif du capital jusqu’à l’intransigeance extrême après trois décennies d’avancées ininterrompues, une expérience gouvernementale de gauche n’a que le choix de s’affaler11 ou de passer dans un autre régime de l’affrontement – inévitablement commandé par la montée en intensité de ce dernier, montée dont le niveau est fixé par les forces du capital. Un autre régime, ça veut dire en mobilisant des moyens littéralement extra- ordinaires, j’entends hors de l’ordinaire institutionnel de la fausse démocratie. Par exemple ​: réinstauration flash d’un contrôle des capitaux, sortie de l’euro, donc reprise en main immédiate de la Banque de France, mais aussi nationalisation des banques par simple saisie, et surtout suspension, voire expropriation, des médias sous contrôle du capital. C’est un point décisif. On ne mène pas une politique qui suppose un soutien puissant de l’opinion dans des conditions d’adversité médiatique générale, maximale, déclarée, principielle12,13. Il faut donc arriver avec un schéma tout armé de refonte entière du secteur des médias, à l’image de celui que Pierre Rimbert avait proposé il y a quelques années14. Comme on voit, les urgences simultanées d’un tel gouvernement sont celles d’un double arraisonnement immédiat​ : de la finance et des médias du capital.”

Frederic Lordon – extrait de “Vivre Sans”

A l’heure de la mort de l’euphémisme15, il n’est plus temps de prétendre que l’écologie pourrait être un sujet de discussions apaisées, qu’elle serait le domaine d’expert·e·s que l’on écoute et dont on applique simplement les recommandations. Les intérêts économiques et politiques en jeu en font nécessairement un terrain de lutte. Et on ne lutte pas en échangeant cordialement avec les dominant·e·s ou en ramenant les petit·e·s bourgeois·e·s à sa cause. On lutte en rendant criante l’hypocrisie des puissant·e·s et en oeuvrant à les déposséder de leur pouvoir, ce à quoi iels ne consentent généralement pas. La lutte est par définition le théâtre d’une certaine violence – à minima symbolique.

On lutte – parce qu’on a à coeur l’intéret du plus grand nombre, et on lutte donc avec le plus grand nombre, avec les travailleu·r·euse·s avec les plus précaires. Parce que ce sont celleux qui ont réellement intéret à un changement. Les petit·e·s bourgeois·e·s qui romantisent la révolution n’ont jamais remis en cause quelque pouvoir que soit, soit parce qu’iels sont trop peu nombreux·se·s, soit parce qu’iels changent de bord passé 35 ans16, certainement un peu des deux.

Quand la droite crache avec flegme sa réthorique xénophobe sur tous les plateaux télés, il est désespérant de voir la “gauche”et l’écologie mainstream louvoyer, autour de la question de l’anticapitalisme et de sa mise en pratique. Il est grand temps de faire bouger la fenêtre d’Overton17 en direction de l’expropriation des acteurs financiers18 et industriels. Parce que c’est la seule réponse sensée, parce que ce qui concerne la majorité devrait être décidé par la majorité – et parce que face à une droite de plus en plus fascisante il n’y a pas de place pour le compromis.

L’écologie en tant qu’idée politique et en tant que mouvement vit en ce moment quelque chose de décisif : elle peut devenir anticapitaliste, populaire et se donner les moyens d’accomplir ses objectifs (la préservation de l’environnement, quelle que soit la manière dont on le définit, de l’équilibre du système Terre, de la biosphère, etc.), ou rester bourgeois·e et iréniste et se rendre moins apte à accomplir ses propres objectifs que la gauche radicale (que cette dernière se revendique comme écologiste ou non). En somme elle a le choix de changer de rhétorique et de mode d’analyse, d’aller au delà de ses propres contradictions ou alors de cesser d’avoir une raison d’être et très certainement disparaître. Car si l’écologie ne peut être que bourgeoise, mieux vaudrait-il qu’elle ne soit pas.

Titouan Renard

Photo de couverture : Salar de Uyuni, Bolivie, Mikel (Attribution-NonCommercial 2.0 Generic – Creative Commons)


  1. *
    iréniste \i.ʁe.nist\ : Qui fait de la concorde l’objectif politique premier. Par opposition à agoniste \a.ɡɔ.nist\ : Du grec ancien ἀγωνία, agônia qui signifie (« lutte »).

Sources

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    en finir avec le capitalisme, parce que quand même à un moment c’est bon quoi. Change.org. Accessed May 17, 2020. https://www.change.org/p/tout-le-monde-la-fin-du-capitalisme
  2. 2.
    « Non à un retour à la normale » : de Robert De Niro à Juliette Binoche, l’appel de 200 artistes et scientifiques. Le Monde.fr. Accessed May 17, 2020. https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/06/non-a-un-retour-a-la-normale-de-robert-de-niro-a-juliette-binoche-de-joaquin-phoenix-a-angele-l-appel-de-200-artistes-et-scientifiques_6038775_3232.html
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    Descamps P, Lebel T. Un avant-goût du choc climatique. Le Monde diplomatique. Published May 1, 2020. Accessed May 17, 2020. https://www.monde-diplomatique.fr/2020/05/DESCAMPS/61750
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    Covid-19 : le nombre de gens confrontés à une crise alimentaire doublera en l’absence de mesures rapides. ONU Info. Published April 21, 2020. Accessed May 17, 2020. https://news.un.org/fr/story/2020/04/1067092
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