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Pandémies: La civilisation thermo-industrielle mise en cause

La pandémie du Covid-19 nous touche toutes et tous, elle a mis à l’arrêt forcé une partie de l’économie de nombreux états, et c’est donc logiquement qu’on observe une diminution temporaire de la pollution. Certain.es collapsologues et certain.es militant.es proches des sphères écofascistes y voient une chance pour la planète. Certain.es considèrent même cette pandémie comme une « réponse naturelle de la Terre contre les dégâts infligés par les humains » et d’autres pensent encore que « les humains sont la maladie et le virus le remède »! Cette vision soulève bien entendu des considérations éthiques: peut-on se réjouir de la mort de milliers de personnes et de la situation sanitaire catastrophique pour les réfugié.es dans les camps, ne pas se préoccuper de ce qui est subi par le personnel soignant etc.?  Au-delà de ces questionnements, penser que la nature s’autorégulerait en nous forçant malgré nous à donner du répit à la planète fait ressortir une sorte de fatalisme face à cette épidémie, nous éloignant de la nécessité de mettre en place une écologie politique volontariste qui limiterait les conséquences de la crise écologique ainsi que la propagation d’épidémies telles que le Covid-19.

Car scoop. Cette pandémie n’est qu’une conséquence logique des activités de notre civilisation industrielle mondialisée.

L’émergence de nouveaux pathogènes

Les épidémiologistes tentent d’avertir depuis des décennies sur l’amplification de l’émergence de nouveaux pathogènes (bactéries ou virus), en particulier ceux transmis par des animaux. Le nombre d’épidémies d’origine zoonotique (transmise par les animaux aux humains) a en effet plus que triplé entre 1980 et 2010, principalement par des transmissions via la faune sauvage. L’accélération de l’apparition de ces nouvelles maladies trouve sa racine profonde dans la destruction des écosystèmes et la déforestation.

En effet, l’urbanisation effrénée et la déforestation ont conduit beaucoup d’animaux sauvages à se retrouver confrontés à la présence humaine, augmentant ainsi les contacts et donc les risques de contagions inter-espèces. En détruisant leurs habitats naturels, on contraint les espèces sauvages telles que les chauves-souris (principaux vecteurs de virus zoonotiques) à vivre plus proches des villes et villages. On augmente donc la probabilité qu’un virus ou une bactérie entre en contact avec un humain et on donne donc l’opportunité à ces pathogènes de s’adapter pour devenir plus virulents 1,2.

Plusieurs études vont dans ce sens. Il a ainsi été montré que les apparitions d’Ebola étaient plus fréquentes dans zones d’Afrique ayant subi les plus importantes déforestations, favorisant la re-émergence de la maladie par le rapprochement de certaines populations animales (chauves-souris, singes) avec des habitations humaines 3,4 .
La destruction des écosystèmes a aussi comme conséquence de déréguler la biodiversité et de favoriser la multiplication d’organismes souvent porteurs de pathogènes dangereux pour les humains. C’est le cas par exemple avec les moustiques et les tiques. Le réchauffement climatique, la disparition des proies, la déforestation et la stagnation des eaux provoquée par un durcissement des sols favorisent la prolifération des moustiques et donc de la transmission de pathogènes qu’ils portent. On voit donc ré-apparaitre de manière plus virulente des maladies déjà connues comme les maladies causées par le virus Zika ou le Chikungunya, ou l’amplification de maladies comme le paludisme dans certaines régions. On peut citer aussi l’exemple de l’encéphalite à tiques en Suède, où la diminution de la population de chevreuils a provoqué un détournement des tiques vers les campagnols, augmentant la transmission de la maladie à l’homme.Les changements climatiques font aussi émerger certaines maladies dans des régions jusque-là épargnées (comme l’épidémie due au virus Zika en Lombardie transmise par les moustiques tigres) 5–7.

L’apparition de nouveaux virus par la destruction de ces « barrières biologiques » est accentuée par les modes de consommation alimentaire et nos systèmes d’approvisionnements.On pense bien sûr tout d’abord aux « wet markets ». Dans ces marchés, des espèces d’animaux sauvages sont gardées en captivité dans des conditions déplorables, où le stress et les problèmes sanitaires favorisent la transmission microbienne. Il en découle aussi une promiscuité entre des animaux qui ne sont normalement pas en contact dans leur habitat naturel, facilitant la transmission des pathogènes d’animaux réservoirs à animaux vecteurs (ie hôtes intermédiaires qui transmettent plus facilement les pathogènes aux humains), comme c’est l’hypothèse pour le Covid-19 avec la chauve-souris comme réservoir et le pangolin comme vecteur du virus. Il ne s’agit pas ici de stigmatiser ces modes de  fonctionnement qui sont, au moins en partie, dûs à la nécessité de se nourrir dans un contexte de croissance démographique exponentielle et d’urbanisation extrême. D’autant plus que les élevages intensifs tels que nous les connaissons dans nos sociétés occidentales ont aussi leur part belle dans l’apparition de maladies transmises par les animaux, comme les différentes grippes aviaires et porcines des dernières décennies. L’uniformisation génétique des animaux d’élevage contribue à faciliter l’adaptation et le développement de certaines souches de virus, et de manière très efficace vu la très forte densité de population et les conditions sanitaires déplorables. La responsabilité de l’élevage intensif dans l’émergence de ces zoonoses est bien sûr aussi liée à la déforestation associée à l’élevage intensif 8,9.

La dissémination des pathogènes

Nous avons donc vu que l’émergence de nouveaux pathogènes s’accentue à cause des activités humaines.  Un autre facteur extrêmement important dans le développement d’épidémies est aussi la vitesse de propagation des pathogènes. Dans le cas d’un virus elle dépend bien sûr du niveau de contagion, de la survie du virus hors des organismes, de sa virulence. L’histoire et le bon sens nous suggèrent aussi que la circulation et la concentration des personnes est un facteur essentiel dans la propagation d’une maladie infectieuse. La propagation des épidémies a augmenté de la même manière que la vitesse et l’abondance de nos moyens de transports, tout cela favorisé par l’augmentation de la densité de population dans les grandes villes . Entre 2003 – année de l’épidémie du premier SRAS – et aujourd’hui, le trafic aérien a plus que doublé. Des millions de voyageur.euses par jour dans les aéroports circulant entres les métropoles en quelques heures, avec des porteur.euses sans symptômes mais contagieux.ses et voilà en quelques semaines une épidémie qui se transforme en fulgurante pandémie. La mondialisation et le raccourcissement des distances par l’avion sont des facteurs primordiaux du déploiement géographique ultra-rapide qu’on a pu observer avec le Covid-19, mais aussi dans une moindre mesure avec la grippe H1N1 de 2009 2.

Un autre facteur causé par les activités thermo-industrielles et amplifiant la dissémination et la dangerosité d’agents viraux serait la pollution atmosphérique, en particulier la forte présence de microparticules. En effet, des études récentes montrent une forte corrélation entre le niveau de particules fines dans l’atmosphère et la propagation de virus. Les hypothèses pour expliquer cette corrélation sont de plusieurs natures. Il est possible que les particules fines aident les virus à rester plus longtemps actifs en suspension dans l’air mais aussi participent à leur transport dans l’air, favorisant ainsi les risques d’infections. Il est aussi possible que la pollution chronique due aux particules fines rende la population plus vulnérable et plus à même de contracter une infection virale, surtout celles qui atteignent les voies respiratoires, comme c’est le cas du Covid-19. Dans le même sens, il est tout à fait possible que la pollution aux particules fines augmente les symptômes des maladies virales. On observe par exemple en Lombardie, la région d’Europe avec le plus haut taux de particules fines un taux de mortalité du Covid-19 de 11% contre 5.6% dans le reste du pays 10,11.

On se rend donc bien compte que l’augmentation de la fréquence de ces épidémies sont une conséquence de notre civilisation thermo-industrielle. Comme pour les répercussions causées par la crise climatique, le sud global est touché depuis plus longtemps et plus durement, mais nous ne réalisons l’ampleur des risques sur les populations seulement maintenant que nous sommes directement impacté.es. La lutte contre les dérèglements climatiques et la prévention de futures pandémies vont de pair et incluent entre autres, la sauvegarde de la biodiversité, la mise en place d’une société solidaire et basée sur l’entraide, la « démondialisation » et le développement de l’agroécologie locale. Si ces changements ne viennent pas, il y aura forcément d’autres pandémies de même nature. Peut-on espérer une meilleure gestion de ces crises de la part de nos états? On peut fortement en douter lorsqu’on voit les décisions politiques visant à maintenir à tout prix l’économie au dépend de vies humaines. Comme pour le reste, les solutions ne viendront sûrement pas de nos gouvernements.

Alors en attendant la fin de cette crise, restons chez nous, soutenons les personnes en première ligne, préparons l’après, auto-organisons-nous pour mener nos combats contre les systèmes mortifères. On se voit bientôt.

Julie


  1. 1.
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