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Reportage Société

J’interroge mes voisins sur leur rapport à l’écologie – Episode I

Introduction

Lorsqu’il a été temps pour moi d’écrire mon article pour le Canard Huppé, j’avais soif d’entendre des gens parler de leurs expériences, de leurs opinions, de leurs ressentis, plutôt que de donner mon propre avis sur une problématique. M’est alors venue l’idée d’interroger tous mes voisins sur leur rapport à l’écologie. J’habite avec mes parents et ma sœur dans une villa avec jardin dans un village autour d’Yverdon-les-Bains, et tous nos voisins sont propriétaires de domaines similaires. Je les connais à des degrés divers, et suis allée leur demander s’ils seraient d’accord que je les interroge, les enregistre et cite leurs propos dans un article, tout en leur donnant des prénoms d’emprunts, et en ne signant l’article qu’avec l’initiale de mon prénom afin de préserver leur anonymat. Tous, à l’exception d’un couple de retraités que je n’avais jamais rencontrés, ont répondu présent et m’ont accordé leur temps et leur attention, et je les en remercie d’emblée.

Cet article ne prétend pas avoir de portée scientifique. Il constitue simplement une tentative d’interroger des gens vivant dans un environnement similaire au mien sur des questions qui me tenaient à cœur au moment où je les ai écrites. Les questions elles-mêmes sont parfois floues, les concepts mal définis, du fait que je n’avais pas suffisamment de temps et d’énergie à consacrer à ce projet qui s’est révélé beaucoup plus chronophage que je ne l’avais imaginé, mais peu m’a importé : mon but, qui était de m’intéresser au point de vue d’autres, a été atteint, et les réponses qui m’ont été données ont parfois été plus riches, inattendues, qu’elles ne l’auraient été si je les avais rédigées très claires et précises.

Je suis partie pour tous les entretiens d’une première question très générale : « Quel est votre rapport à l’écologie? » La suite des entretiens déroulait, formulées un peu différemment selon mon éloquence sur le moment, les questions suivantes :

  • Quand est-ce qu’une conscience écologique a émergé pour la première fois chez vous? Y a-t-il eu un événement marquant?
  • Quels gestes écologiques accomplissez-vous au niveau personnel, quelles mesures prenez-vous?
  • Comment vous positionnez-vous par rapport à la question de l’avion?
  • Etes-vous satisfait.e de votre comportement en matière d’écologie, ou pensez-vous que vous devriez en faire plus? Pourquoi ? Qu’est-ce qui pourrait vous motiver à en faire plus?
  • Avez-vous le sentiment que nous sommes face à une urgence concernant le changement climatique? En êtes-vous  inquiet.ète?
  • Pensez-vous que nous avons des chances d’inverser la tendance avant qu’il ne soit trop tard? Si oui, comment? Quelles mesures prendre?
  • Le système politique suisse actuel est-il à la hauteur de l’enjeu? Et le capitalisme?
  • Connaissez-vous le mouvement de la grève du climat? Pensez-vous qu’il a des chances d’avoir un impact? Avez-vous pris part aux manifestations qu’il a organisées ou non? Pourquoi?
  • Que pensez-vous de la désobéissance civile ? Vous verriez-vous employer ce registre d’action?

La question (susmentionnée) du capitalisme n’a été posée qu’à la moitié des ménages. Je reviendrai sur ce point dans ma conclusion, qui sera à lire dans l’épisode IV.

Enfin, j’ai aussi demandé à tous.tes s’iels étaient membres d’un parti politique, ainsi que leurs âges et métiers.

Lors de la rédaction, je me suis concentrée pour chaque entretien sur les passages qui me semblaient les plus intéressants, et n’ai donc pas toujours cité l’intégralité des réponses aux questions, notamment concernant les entretiens avec mes voisins les plus loquaces. Le lecteur gardera donc à l’esprit qu’il a en général été dit beaucoup plus que ce qui apparaît dans l’article, mais que j’ai tâché de restituer les lignes principales des opinions qui m’ont été exposées. Par ailleurs, j’ai volontairement inséré beaucoup de citations, puisqu’elles restituent je pense le plus fidèlement les propos de mes interlocuteur.ice.s. Enfin, les entretiens ayant duré en général entre 30 et 50 minutes, leur compte rendu s’est vite révélé beaucoup plus long que je ne l’avais imaginé, et j’ai donc pris la décision, afin que cet article ne soit pas trop long, de le diviser en quatre parties, une pour chacun des ménages interrogés.

Premier entretien

Jean, 34 ans, conseiller en énergie

Marie, 31 ans, enseignante à l’école obligatoire

Ont un fils de 2 ans, et un bébé sur le point d’arriver.

Ne sont pas membres d’un parti politique. Pour Jean, c’est dû surtout à un manque de temps, et également d’intérêt pour la politique.


Ces voisins-ci ont emménagé il y a 2 ans, et ont considérablement rénové leur nouvelle maison. Je sais déjà par mes parents qu’ils ont une sensibilité écologique (vélos électriques, installation de panneaux solaires…). Je ne leur ai personnellement parlé qu’une fois, pas longtemps, et ne les connais donc pas du tout. Ils m’accueillent très gentiment, et nous commençons l’entretien avec leur fils de deux ans qui joue autour de la table.


Jean définit ainsi son rapport à l’écologie: « Assez fort je pense, parce que j’ai fait des études en environnement, en ingénierie, et puis ça a toujours été quelque chose d’assez important de respecter la nature. » Marie ajoute: « C’est clair pour nous que c’est important de faire attention à notre planète, donc on essaye de faire un maximum, maintenant voilà il faut vivre aussi quoi […] rien que vivre ça pollue… Le simple fait de consommer on pollue, le fait d’aller aux toilettes on pollue, de manger on pollue, donc voilà, faire au mieux, mais vivre quand-même. »

Lorsque je leur demande quelles mesures écologiques concrètes ils prennent, Jean explique avoir notamment rénové leur maison : ils ont en effet installé des panneaux solaires et une pompe à chaleur géothermique « plutôt que de partir aux Bahamas ou de s’acheter une jolie voiture ». « Après c’est clair qu’on se pose quand-même pas mal de questions en se disant quand-même tout cet argent on pourrait aussi en faire autre chose. », ajoute-t-il. Marie évoque aussi leur mode de consommation: « Dans ce qu’on mange aussi on essaye de consommer bio, on essaye de consommer plus local, des fraises on n’en a pas encore achetées… On essaye de se limiter un peu. » Plus tard dans la conversation elle ajoute qu’elle est parfois tentée de s’acheter de nouveau habits, mais que Jean l’en dissuade. Et de le citer: « Pense aux cargos!! Regarde tous ces cargos, imagine tous ces containers là tu vas pas participer à ça… » « Il est assez culpabilisant des fois… » conclut-elle en riant.

Vient la question de l’avion. Marie explique que si jamais ils ne le prendront pour un weekend, ils auraient en revanche de la peine à renoncer à leurs vacances au chaud dans les Canaries, une fois par année. Jean ajoute : « C’est clair que l’avion devrait être très limité. »

« On pourrait encore en faire plus. Mais après c’est toujours une question de limites. »

Quand je leur demande s’iels sont satisfaits de leur comportement en matière d’écologie, Marie répond que même s’il est toujours possible de faire mieux, elle pense qu’iels sont au maximum « J’aurais de la peine à faire plus que ça. » Elle évoque aussi leurs efforts pour ne pas trop céder à la surconsommation. Jean lui avance que même s’iels pensent faire beaucoup d’efforts par rapport à la moyenne, iels veulent « quand-même un certain confort ». Il résume: « Après c’est clair qu’on pourrait encore en faire plus. Mais après c’est toujours une question de limites, de à quoi on limite nos divertissements, à quoi on limite nos achats et notre plaisir. »

J’enchaîne en leur demandant si quelque chose pourrait néanmoins les motiver à en faire plus, ce qui entraîne Jean sur une réflexion sur l’idée de quota de CO2: « Je pense que si tout le monde était mis à la même enseigne et que tout le monde avait droit à un quota de CO2 à dépenser par année, tout le monde serait beaucoup plus prêt à le faire parce que chacun serait régi par la même norme, alors que là c’est une norme qui est édictée par soi-même ». Marie souligne (et Jean approuvera) que pour elles.eux il serait facile de dire oui à la mise en place d’un tel quota car iels n’auraient « pas forcément énormément à changer ». Elle pense cependant que pour certain.e.s il s’agirait d’une privation de liberté, ce qui est « toujours délicat » car il n’est « pas évident de normer ce genre de choses ». Elle conclut en disant: « Nous on a notre petite partie à jouer […] C’est clair qu’on peut pas attendre seulement des autres qu’ils fassent des efforts. » Enfin, Jean évoque aussi l’importance de montrer l’exemple.

A mon évocation du changement climatique, Jean déclare: « Le problème c’est pas le changement climatique, c’est le changement, c’est la perte des écosystèmes, de la biodiversité… Le changement climatique c’est un tout petit truc par rapport au global”. Il y a la santé humaine aussi qui est pas prise en compte, il y a la santé des animaux, enfin toute la planète disons. » Et lorsque je leur demande s’ils sont inquiets à ce sujet, Marie répond: « Je sais pas si on peut dire vraiment inquiets, mais c’est quelque chose qui nous préoccupe, on se rend quand même bien compte que la banquise est en train de fondre, que les glaciers sont bientôt plus là… […] On est conscient et on essaie à notre échelle de faire ce qu’on peut, mais il faudrait qu’il y ait aussi un peu plus de participation des autres aussi je pense, une conscience collective ».

J’en viens à leur demander s’ils pensent que le système politique actuel est à la hauteur de l’enjeu, et Jean est catégorique: « Pas du tout. Je pense qu’il y a déjà beaucoup de choses qu’ils osent pas dire. La qualité de l’air qu’on respire en ville à mon avis ils osent pas dire qu’elle est dangereuse. […] Il y a ce problème de focalisation sur le réchauffement climatique alors qu’il y a d’autres problèmes. […] Après il y a beaucoup de choses qui se font en Suisse, les pesticides ont été énormément réduits… C’est juste que le discours envers le peuple il est vraiment basé sur le CO2. Et ça c’est un peu dommage, on a un peu l’impression que la Suisse elle veut juste changer le CO2 mais pas le reste des choses ».

« Je me vois pas trop devenir une grande militante. »

On en arrive au sujet de la Grève du Climat. Une fois que je précise de quoi il s’agit, Jean et Marie se rappellent en avoir entendu parler. Ils n’ont eux-mêmes pas participé aux manifestations organisées par ce mouvement. Jean dit que s’il en avait le temps il le ferait, tandis que Marie déclare au contraire: « Je suis pas très à l’aise avec ça, je préférerais discuter avec ma famille et mon entourage pour vraiment essayer de leur faire prendre conscience si je vois qu’ils sont pas du tout écolos, mais non je me vois pas trop devenir une grande militante. »

Je conclus l’entretien en leur demandant ce qu’ils pensent de la désobéissance civile. Jean me demande de quoi il s’agit exactement, alors j’explique en prenant l’exemple de militants qui avaient été jouer au tennis dans les locaux de Crédit Suisse. Marie répond: « Je le ferais pas mais comprends ceux qui le font. » Jean lui avance qu’à son avis « c’est pas ça qui va faire changer crédit suisse de mouvement, c’est plutôt le consommateur. » Il ajoute: « Il y a énormément maintenant de gens qui ont de l’argent qui demandent que leurs fonds soient dans quelque chose qui a un rapport avec l’environnement, donc il y a de moins en moins de fonds placés pour du pétrole, donc de toute façon c’est la personne qui a l’argent qui va gentiment faire la différence ». Puis il explique qu’il ne ferait pas de désobéissance civile parce que même si « les activistes font ce qu’ils veulent », il ne voudrait pas avoir de sanction, et d’autre part « ne trouve pas que c’est forcément une manière de faire ». Quand je lui demande de développer ce dernier point, lui et Marie répondent notamment « c’est pas adéquat », et Jean fait l’hypothèse que cette position vient « peut-être d’une question d’éducation, ou de peur face à la loi ».


Je repars de chez Marie et Jean dynamisée: j’ai trouvé l’entrevue très intéressante, et même si je constate qu’elle a duré une demi-heure plutôt que les 15 ou 20 minutes que j’avais prévues, tout s’est très bien passé et je suis motivée pour les prochains entretiens.

 

L.

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