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Visions d’un séjour dans une Zone à défendre : la forêt de Hambach

Quatre jours avant les vacances de février 2019, je ne m’étais toujours pas décidée sur ce que j’allais faire de mon temps libre. Je souhaitais me couper de la société, couper mon téléphone, ne plus avoir de notifications qui perturbe mon quotidien.

Un ami me propose d’aller dans la forêt de Hambach en Allemagne. Cette forêt primaire est la dernière d’Europe Centrale. Aujourd’hui, il n’en reste plus rien, dévorée depuis des décennies par l’avancement de la plus grande mine de Charbon d’Europe [1]

Sur cette photo, on voit la mine à perte de vue. Cet espace était avant une forêt

J’ai longuement hésité, j’avais peur de ne pas me sentir légitime dans un tel milieu, car pas assez activiste. Mais l’excitation d’observer une communauté radicalement alternative et un mode d’action si diffèrent de notre quotidien l’a emportée et c’est comme ça qu’a commencé le début de mes vacances dans un « barrio» de la forêt de Hambach.

Les « barrios » sont des ensembles de cabanes organisées en camps allant de quatre personnes à une cinquantaine.  Il y en a une quinzaine dans la forêt, de toutes tailles, de toute idéologie et de toute forme d’organisation.

Le but de ces barrios est d’empêcher la déforestation. Avec des personnes vivant haut dans les arbres, les policier.e.s et machines ne peuvent pas couper les arbres sans mettre la vie des activistes intentionnellement en danger. Une autre technique est de faire passer de longue corde sur les chemins qui retiennent une tente ou une cabane en hauteur. Si les camions veulent passer le chemin, les policier.e.s doivent couper la corde ce qui fait chuter la cabane et les personnes y vivant. Lors d’une éviction, les zadistes se mettent donc intentionnellement en danger de mort afin de protéger la forêt.

Juste après mon arrivée, quand je posais les questions formelles habituelles pour apprendre à connaître de nouvelles personnes (d’où viens-tu ? Que faisais-tu dans la vie ? etc), on me répondait de manière très floue (ex : For how long have you been here ? The same time I am gonna stay). Je ne comprenais pas pourquoi tout le monde avait des prénoms anglais (Jack, Smockey, Blondye, Ghost, …). Quelle naïveté ! Ici, personne ne donne quoi que ce soit de son identité. Chacun.e a un surnom de la forêt.

Pour apprendre à connaître les personnes, il vaut mieux leur poser des questions sur le présent, ce qu’ils font ici, ce qu’ils aiment, leur motivation profonde. Il est peu évident de lier des relations qui resteront après être sortie de la forêt car il est peu probable de pouvoir retrouver ces personnes. Mais je me suis rendue compte qu’il n’est pas nécessaire de savoir d’où vient une personne et son prénom pour la connaître. L’éphémérité des relations ressort plus que jamais dans ce lieu et il faut savoir s’en accommoder et même l’apprécier.

Il faut aussi savoir s’accommoder des conditions de vie difficile du lieu. Il n’y pas d’eau, et il faut aller la chercher très loin. Ainsi, les douches et la vaisselle se font avec de l’eau de pluie. En hiver, le problème de douche n’en est pas un, puisqu’il est préférable de ne pas en prendre à cause du froid.  En effet, il n’y a pas de chauffage et pas d’électricité. Les rares ressources (eau potable et bonbonne de gaz) sont uniquement utilisées pour boire et manger.

A 18h00, quand il fait déjà nuit, et qu’il n’y a plus de lumière et il n’y a plus grand-chose faire à part s’assoir tous ensemble autour du feu, chanter les mêmes chansons en boucle toute la soirée et profiter des gens autour de soi. On boit, on fume, on chante et on baise en allemand.

La “fire place” pour passer sa soirée au chaud

Nous avons été accueillis par hasard dans le camp le plus anarchiste individualiste de la forêt (selon les dire) [2] . Dans ce camp, il n’y avait pas de règle et pas d’obligation à faire des tâches communautaires. L’idéologie anarchiste individualiste “prône la liberté des choix de l’individu face à ceux, généralement imposés, d’un groupe social”.  Il fallait oublier toute présomption de propriété, de privé et d’intimité (tes affaires deviennent celle de la communauté, tu n’as aucun endroit privilégié pour toi, un plat que tu as cuisiné toi-même est terminé par d’autre sans ton accord). Cette conception du partage très radicale mais sans partage relationnel est particulièrement intéressante et questionnante pour des personnes qui n’y sont pas habituées.

Cependant, ce partage se limite au barrio. Les différents barrios ont peu de lien entre eux. Je m’attendais à retrouver un esprit village comme préconçu de ce que j’avais lu sur la ZAD de Notre Dame des landes [3].  Je pensais découvrir des lieux ayant des fonctions spécifiques disposés dans toute la forêt pour être plus autonome (infirmerie, jardin, artisanat, four à pain etc) et des personnes ayant des métiers dans la forêt [4 ]

Meadow: le plus gros barrio de la forêt

Mais la forêt de Hambach n’est pas du tout dans ce système. Il n’y a pas de jardin, pas de métier, pas d’autonomie, tout provient du dumpster diving et de don. Ce manque de cohésion et du sentiment d’appartenir à une communauté qui crée quelque chose en commun peut se comprendre par le va-et-vient trop fréquent des personnes à la ZAD. Chaque jour ce sont des personnes différentes qui vivent dans un barrio. Dans ce contexte, il est trop difficile d’élaborer une structure organisationnelle et communautaire ainsi que des liens forts entre les individus.  Par ailleurs, les évictions sont très fréquentes. Beaucoup d’énergie est mise à reconstruire des cabanes qui ont été détruites. Les jardins ont tous été saccagés par la police comme tout ce qui peut amener la communauté vers plus d’autonomie.

Alors, il n’y pas d’autre alternative que de vivre de dumpster diving et des dons des locaux. Ainsi, ils sont contraints de rester dépendant de cette société puisqu’ils ne créent rien eux-mêmes et vivent des restes de celle-ci.

Par ailleurs, leur mode de vie est très lent. C’est particulièrement reposant pour l’esprit de se réveiller le matin au milieu des arbres.  D’avoir ce sentiment de vivre dans une bulle en n’ayant rien de prévu pour la journée. D’être coupée de la société, des villes et de leur vitesse parfois asphyxiante. Quelle tranquillité !

Une mini bibliothèque avec comme livres: comment construire une cabane ? le guide de l’action directe, etc

Cependant, pour moi et pour d’autres, il y a cette sensation de ne rien faire de ses journées et l’impression d’être plus utile ailleurs, à organiser des évènements de sensibilisation ou des actions directes. En effet, leur mode d’action peut être considéré de « passif », puisqu’il consiste à survivre à un endroit en attendant la prochaine éviction.

Par ailleurs, leur action est bien trop peu médiatisée, dû au manque d’information sur ce qu’il se passe dans la forêt et à une forme de censure. Il y a une semaine, une éviction a eu lieu dans la forêt et aucun article n’en a parlé, les seules informations étaient sur twitter. La société a peu de retour et de vue sur ce qu’il se passe dans la forêt. En effet, ils sont très loin et à l’écart du reste de la population et la touche peu en vivant dans une bulle. Mais l’état tend aussi à les invisibiliser.

Je me demandais alors si on pouvait vraiment avoir un impact sur la population en vivant en marge de celle-ci ? Quel est l’impact d’une ZAD (zone à défendre) sur la société de consommation ? En ressortant de cette bulle et en retournant à la société, je me suis rendu compte de l’étendu des choses à changer. La civilisation mondiale est paralysée dans son système actuel, trop gros, trop lourd, avec une inertie frustrante. A l’échelle planétaire et devant l’urgence de la situation, nos actions ne serviront jamais à rien. Alors, à quoi sert-il de comparer l’utilité d’une ZAD par rapport à celle d’une marche climatique, ou d’une conférence ?  Y a-t-il vraiment lieu de se questionner sur l’utilité de nos actions, l’échelle de leurs impacts ?

Cependant, chaque action quotidienne, chaque événement de sensibilisation occasionnera des externalités positives sur certains individus, non quantifiable et peu perceptible (changement de représentation, de mode de vie, etc …).

Ainsi, chacun doit pouvoir trouver ses modes d’actions en accord avec ses limites mentales et physiques. Si nos actes sont trop nocifs pour nous-même, cela n’est pas viable sur le long terme et nous ne serons pas alors en mesure d’avoir un impact positif sur les autres. En appliquant des modes de vie, et en nous investissant dans des causes en concordance avec nos valeurs, nous ne faisons pas du bien qu’à nous-même mais nous sommes en mesure de faire du bien autour de nous et de mieux les partager.

La diversité des modes d’action est une nécessité pour toucher toutes les sphères de la société. Leur complémentarité est essentielle. Il n’y a alors plus lieu de hiérarchiser les actes écologiques par leur impact ou leur investissement humain.

L’idée est plutôt de trouver ceux qui sont le plus durable pour chaque personne maximisant ainsi les externalités positives. La mise en valeur de l’intérêt de la diversité des modes d’actions écologique permettra à chacun·e de trouver consciemment sa voie. Et en faisant cela, nous propageons l’utopie de créer ensemble une société avec nos valeurs partagées.

Lauriane Masson

[1] https://foretdehambach.org/information-sur-la-foret/la-foret-de-hambach/

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Anarchisme_individualiste

[3] https://reporterre.net/A-la-Zad-on-experimente-la-societe-sans-Etat

[4] https://www.lemonde.fr/planete/visuel/2016/03/26/notre-dame-des-landes-une-vie-hors-la-loi_4890419_3244.html

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